Introduction : Fighter pilot for ever…
C’est à mon père, passionné d’Histoire et d’aviation, que je dois la découverte de Buck Danny. Contrairement aux autres séries abordées jusqu’ici dans ce blog (Ric Hochet et Tif et Tondu), je suis bien incapable de me souvenir de la première aventure de l’aviateur américain qui m’est tombée entre les pattes. Peut-être est-ce tout bêtement la première, Les Japs attaquent, à une époque où la guerre du Pacifique commençait à me fasciner. Dans les petites lucarnes des années soixante-dix évoluaient les « Têtes brûlées » de Greg « Pappy » Boyington, et le gosse que j’étais se régalait des exploits de ces héros aux commandes de leurs « Corsairs » aux ailes de mouette. Depuis, cette passion conjointe pour l’Histoire et l’aviation ne m’a plus quitté. Et je dois à Buck Danny une bonne partie de mes connaissances aéronautiques, un vocabulaire ésotérique (« roger », « QDM », « QFE », « clearance », « gee !» et autres « gosh !»), ainsi que quelques franches rigolades…mais n’anticipons pas !
Les exploits de Buck Danny paraissent pour la première fois dans l’hebdomadaire Spirou n°455, le 2 janvier 1947. Dans l’immédiat après-guerre, les récits héroïques portant sur le conflit tout juste achevé trouvent un large public dans une jeunesse européenne avide d’aventures et d’exotisme. Les Etats-Unis, au faîte de leur prestige, fascinent plus que tout et s’apprêtent à inonder l’Europe occidentale de leurs « comics » en quadrichromie.
Une agence belge nommée World Press, dirigée par Georges Troisfontaines, entend bien surfer sur la vague et lance son nouveau héros, plus ricain que nature, quelques mois avant le Plan Marshall et le début officiel de la guerre froide. Le théâtre choisi sera le Pacifique, avec l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941. Aux commandes, Victor Hubinon pour le dessin, Troisfontaines lui-même pour le scénario. Au bout de 16 planches, ce dernier passe la main à Jean-Michel Charlier, qui avait déjà travaillé avec Hubinon l’année précédente pour une BD historique, l’Agonie du Bismarck. Les deux complices réaliseront l’année suivante un autre docu-BD, Tarawa, atoll sanglant, où les personnages des trois correspondants de guerre (un blond, un brun et un roux) évoque déjà le futur tiercé gagnant Danny/Tumbler/Tuckson.
Charlier, scénariste aussi talentueux que prolifique (co-auteur entre autres de Blueberry, ou de l’équivalent français de Buck Danny, Tanguy et Laverdure) a connu une brillante carrière, travaillant dans tous les domaines de l’édition, réalisateur de documentaires télévisés (les « dossiers noirs », sur des grands thèmes historiques). Il est aussi un mordu d’aviation, qui fut même pilote de la SABENA (compagnie aérienne belge) en 1950. Né en 1924 à Liège, il a donc 22 ans lorsqu’il commence à faire équipe avec Victor Hubinon, qui a le même âge que lui et une passion identique pour les machines volantes (Hubinon passa également son brevet de pilote). Le duo, qui créera en 1959 une autre série à succès, les aventures du pirate Barberouge, conduira Buck Danny d’exploits en exploits jusqu’en 1979, année de la mort d’Hubinon. La santé chancelante de ce dernier avait déjà nécessité le recours à quelques remplaçants pour boucler certains albums, avec des raccords plus ou moins maladroits (n°30 –les Voleurs de satellites ; n°35 –l’Escadrille de la Mort ; n°37 –le Pilote au masque de cuir) Il termine néanmoins son œuvre en beauté en avec Ghost queen (n°40), qui clôt la trilogie de la Vallée de la Mort verte.
Francis Bergèse reprend le flambeau en 1983, avec le talent indéniable d’un grand illustrateur aéronautique. Le dessin y gagne en qualité, qu’il s’agisse du détail des avions, des décors, des personnages ou des effets de mouvement. On est loin des approximations des premiers albums. Le nouveau tandem Bergèse-Charlier volera avec succès jusqu’en 1989, année de la mort du scénariste. Là, les choses se gâtent. Après une brève collaboration avec Jacques de Douhet pour Les Secrets de la Mer Noire (n°45), Bergèse décide d’assumer seul la suite des aventures de Buck Danny, qu’il mènera jusqu’à épuisement en 2007. Il jette l’éponge après le n° 52, Porté disparu, laissant la place à Francis Winis et Frédéric Zumbiehl, pour un pénible et inutile Cobra Noir (2013).
De fait, le lecteur ne peut que constater une nette perte de souffle après la disparition de Charlier. Si les histoires de ses successeurs sont bien documentées et vraisemblables, elles finissent par souffrir du défaut des perfectionnistes, qui tendent à sacrifier la fantaisie et l’aventure au réalisme quasi-documentaire, avec moult remerciements aux conseillers en tout genre en fin d’album. Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur les limites d’un genre (les exploits aériens) largement décliné en 53 albums. Le grand Charlier lui-même avait tendance à se répéter dans ses intrigues, et n’hésitait pas à se piller lui-même pour alimenter des séries parallèles. Tanguy et Laverdure reprennent ainsi sans vergogne un certain nombre de ressorts dramatiques de Buck Danny. En tout cas, le « fan » que je suis estime que le dernier grand album de la série reste sans nul doute les Agresseurs (n°44)
Mais assez bavassé…pilotes, à vos appareils ! Scramble, scramble ! (« décollage immédiat »)
Un trio presque parfait : Buck Danny, Sonny Tuckson et Jerry Tumbler.
Buck Danny, le pur et dur.
Buck Danny, dont le nom sonne un double uppercut, apparaît comme le héros idéal des illustrés d’après-guerre. C’est l’Américain-type : grand, blond, aux épaules aussi carrées que son menton, ne craignant jamais de faire le coup de poing contre les méchants. Au début de ses aventures, son brushing reste impeccable, et il lui faudra quelques séjours dans l’eau ou dans la jungle pour que deux mèches disgracieuses lui tombent en travers du front. Par la suite, Hubinon fixera la coiffure de son personnage en le dotant d’une petite mèche en cédille qui rappelle furieusement un autre pilote, automobile celui-là, le Michel Vaillant de Jean Graton. D’ailleurs, Buck Danny, c’est Michel Vaillant en blond, paré de toutes les vertus morales : courageux, fidèle en amitié, patriote et bon soldat. Incorruptible et désintéressé, cela va sans dire. Lorsqu’il gagne une fortune en diamants après avoir aidé un cheikh arabe à sauver son trône (les gangsters du pétrole, n°9), il la dépense sans hésiter pour permettre à un obscur ingénieur de réaliser son réacteur révolutionnaire destiné à l’Air Force. Et comme ses amis manifestent leur désaccord (après tout, ils ont droit à leur part aussi), il réplique :
« Que voulez-vous faire de mieux que réparer une injustice et offrir à votre pays un avion sans rival ? […] D’ailleurs, je suis sûr que c’était votre idée, les gars ! » (Pilote d’essai, n°10, p 41)
S’il a le sens du devoir, il lui arrive aussi de transgresser les ordres pour venir en aide à ses copains ou voler au secours des innocents. Cette première entorse à la discipline a lieu dans Les Tigres volants, lorsque Buck et ses compagnons décollent à bord d’un DC3 pour aller récupérer des orphelins chinois sur le point d’être massacrés par les Japonais. Mais comme de juste, le supérieur de Danny, le colonel Morton, se montrera indulgent : « Au fond, toubib, ne le répétez pas, mais je les admire et je les envie […] Ah ! Si j’avais eu vingt ans de moins ! » (n°4 p 18)
Buck a aussi le sens de l’humour, qui se manifeste dans Les mystères de Midway (n°2, p 21) lorsqu’un officier japonais s’efforce de le cuisiner :
« Eh bien ? J’attends !
-A ta place, je commencerais un tricot ! »
Il va de soi que notre indomptable héros ne parlera pas, et entreprendra même de rosser ses bourreaux. Seule la menace de représailles sur une innocente infirmière, Susan Holmes (voir plus loin dans la galerie de portraits), manque de le faire flancher.
Buck Danny est aussi un excellent pédagogue, qui réussit à délivrer un jeune pilote de ses phobies et à le faire réintégrer dans un « team » qui le rejetait et le traitait de lâche. (Un avion n’est pas rentré, n°13)
Il faut attendre le n°46 (L’escadrille fantôme) pour voir se brouiller l’image d’un héros jusqu’ici bien lisse. Buck y apparaît vaguement manipulateur, à la limite du planqué : il est en effet le seul de son escadrille à disposer d’un siège éjectable ! Mais il l’avoue lui-même, car la franchise reste l’une de ses nombreuses vertus.
Buck Danny, dont le prénom s’inspire du célèbre héros de SF américain Buck Rogers, apparaît dès la deuxième vignette du 1er album, Les Japs attaquent. Jeune ingénieur, il est embauché aux chantiers navals Beauchamp de Pearl Harbor, où il débarque en novembre 1941. Il est donc aux premières loges pour assister à l’ « infâmie » japonaise du 7 décembre de la même année, et s’illustre aussitôt en démasquant un espion nippon, et en mitraillant d’ignobles saboteurs de même origine au moment de l’attaque.
Il allait de soi qu’un héros pareil ne pouvait rester bras croisés pour le restant du conflit. Buck intègre peu après l’US Navy (curieusement dénommée « American air force » dans l’album) avec le grade de capitaine. Pilote de porte-avions à bord du Yorktown, il décolle pour sa première mission dans un Dauntless, en compagnie de trois autres gaillards. 1ere sortie, et 1er crash pour notre héros, qui commence alors une longue carrière de bousilleur de zinc à son corps défendant. Précisons à sa décharge qu’il doit affronter quatre appareils ennemis, et qu’il en descend deux avant de sauter en parachute. Non, mais !
Les deux premiers albums, qui se veulent plus ou moins historiques, retracent les deux premières grandes batailles aéronavales de la guerre du Pacifique, la Mer de Corail et Midway (entre avril et juin 1942). Buck Danny n’y apparaît que comme un acteur parmi d’autres, dans un récit qui fait la part belle à la « grande histoire », avec quelques péripéties individuelles somme toute assez répétitives : Buck abattu, Buck prisonnier, Buck s’échappe, etc…
Les aventures de notre héros prennent une tout autre dimension dans La Revanche des Fils du Ciel. Affecté à une escadrille des Tigres volants en Chine, sous les ordres du colonel Morton, Buck monte en grade (de capitaine à commandant) et fait la rencontre des faire-valoir qui lui manquaient jusque là, Sonny Tuckson et Jerry Tumbler. Si le récit reste assez linéaire au départ, il s’étoffe et se complique pour créer un véritable cycle d’aventures, très réussi, portant sur quatre albums au total (jusqu’au n°6, Attaque en Birmanie)
La mayonnaise prend alors vraiment, avec des enjeux et des rebondissements assez classiques, mais fort bien menés. L’aviation y prend également moins de place (Buck ne touche pas un zinc pendant presque deux albums), mais on ne s’ennuie pas.
La carrière de Buck, Sonny et Tumbler encaisse un vilain trou d’air après la fin des hostilités.
Réduits au chômage, ils se retrouvent embauchés par une douteuse compagnie aérienne basée au Moyen-Orient, dans une trilogie assez inégale (Des Trafiquants de la Mer Rouge aux Gangsters du pétrole) qui les verra à nouveau triompher des vilains, et revenir riches aux States.
L’ennui les guette, mais le désir de voler et d’expérimenter les nouveaux joujoux de l’US Air Force les pousse à rempiler en tant que pilotes d’essai (n°10 : Pilote d’essai). Le trio ne quittera plus l’armée et connaîtra des affectations diverses, pour se fixer dans la Navy à partir du n°13 (Un avion n’est pas rentré).
La « baille » (le porte-avions) deviendra la résidence principale des trois pilotes, qui séjourneront dans les plupart des grandes unités américaines de 1950 à nos jours (du « Valley Forge » au « Harry Truman », en passant par le « Saratoga » et le « Ranger »).
Si la carrière de Buck s’emballe un moment (major, puis colonel à la fin de ses exploits en Corée), elle stagne ensuite de manière peu crédible. Le grade de général lui pend au nez dans le n°24 (Protype FX 13), avec à la clé une future promotion de commandant en chef de toute l’aéronavale américaine ! Mais hélas, cela signifierait une interdiction de toute mission aérienne dangereuse. Hubinon et Charlier n’ayant pas encore envie de planter là leur personnage, Buck restera donc colonel pour un service actif d’une longévité hallucinante : toujours d’attaque jusqu’en 2013 ! Calculons un peu…Si Buck avait vingt ans en 1941, ce qui est déjà bien jeune pour un ingénieur, il aurait donc 86 ans dans le dernier opus. Bien conservé, l’aviateur ! Et d’une expérience sans équivalent : Buck et ses amis doivent être les seuls pilotes au monde à avoir maîtrisé autant d’appareils différents. Rien que pour les avions de combat, on peut en recenser 25, du Dauntless des débuts au F-22 Raptor. Les plus utilisés étant le P-51 Mustang, le F-9 Panther, le F8 Crusader, le F14 Tomcat et le F18 Hornet. Sans parler des prototypes en tout genre et des gros veaux de transport.
Mais que serait devenu Buck Danny sans de bons ailiers ? Heureusement, Sonny Tuckson et Jerry Tumbler vont rapidement prêter main-forte et donner de l’épaisseur au héros éponyme de la série.
Sonny, l’indispensable bouffon.
L’arrivée de Sonny Tuckson (orthographié « Sony » du n°3 au n°6) constitue une bouffée d’air frais dans une série qui aurait été autrement bien insipide. Petit rouquin et éternel gamin, Sonny est surtout un gaffeur impénitent qui commet une bourde dès sa première rencontre avec Buck, au début de la Revanche des Fils du Ciel (n°3, p 4).
« On m’a parlé d’un commandant qui part aussi…un nommé Buck Danny, je crois…paraît que c’est un as !
-Un as ? Oh, vous savez… [Buck n’ayant pas encore cousu ses nouveaux galons, son compagnon n’a pu l’identifier]
-Vous n’y croyez pas non plus, hein ? Moi, je parie que c’est encore un de ces sacrés farceurs qui a gagné ses galons derrière un bureau. Ha !ha ! Moi, on ne me la fait pas ! »
Evidemment, Buck finit par se présenter, et s’amuse fort de l’embarras de son nouveau comparse sans lui en tenir rigueur, car il sait aussi être indulgent.
Si on ne connaît rien ou presque de la famille de Sonny –contrairement à celle de Buck, qui a encore sa vieille maman au début du n°3- le bonhomme apporte à la série une touche d’humanité bienvenue. Il est le premier des trois à s’intéresser ouvertement aux filles –ce qui ne lui réussit pas-, tient mal l’alcool, raffole des vêtements de mauvais goût, se pique de poésie ou d’art abstrait. Il finit très souvent couvert de peinture ou les quatre fers en l’air, de préférence en compagnie d’un officier supérieur qui le colle aux arrêts une fois sur deux.
« Où est Tuckson ?, s’enquiert ainsi le colonel Morton au début de Pilote d’essai. A l’hôpital ? A l’asile ? » (n°10, p 8)
Le bouffon de service remplira bien son rôle, souvent victime de son enthousiasme et de sa naïveté. Le gag des patins à roulettes, dans le n°13 (Un avion n’est pas rentré) ou des pingouins dans Menace au Nord (n°16) étant parmi les plus savoureux.
Toutefois, tel Louis de Funès, Sonny Tuckson finit par fatiguer son public, notamment après que Bergèse ait pris la relève d’Hubinon. Le petit Texan apparaît de plus en plus excité, et ses démêlés avec O’Connor, l’horrible chien de l’amiral, finissent par être plus pénibles qu’autre chose. Les tartes à la crème, ça va bien un moment…
Question carrière, celle de Sonny plafonne sérieusement. Malgré de nombreux exploits, il lui faut poireauter 19 albums, soit environ une douzaine d’années en temps réel, pour passer du grade de lieutenant à celui de capitaine. Et puis basta…Voilà ce que c’est que de trop faire le pitre !
Tumbler, 3e roue du tandem ?
Qualifié de « robot » par Sonny, Jerry Tumbler –que l’on ne connaît pendant longtemps que sous son patronyme, ou le diminutif de « Tumb »-est un personnage énigmatique. Pas de famille, de vagues origines allemandes évoquées dans le n°22 (Top Secret), et une petite amie –fort jolie- qui n’apparaît qu’en photo dans Mission Apocalypse (n°41). Le premier contact de ce brun ténébreux avec Danny, dans la Revanche des fils du Ciel, est pour le moins tendu : « Sache que tu n’as pas ici de pire ennemi que moi ! » gronde-t-il à bord du navire qui les emmène vers l’Inde (p.7). Il faut dire que le pauvre Tumb s’est fait souffler au dernier moment le commandement de l’escadrille au profit de Danny. Au cours de l’épisode suivant, alors que les deux gaillards semblent en meilleurs termes, Buck se met à nouveau Tumbler à dos en l’accusant d’avoir envoyé deux jeunes pilotes à la mort. Il s’agit en fait d’une ruse, destinée à faciliter l’infiltration de Tumbler au sein d’un redoutable réseau d’espionnage japonais. Buck manque une nouvelle fois de se faire démolir le portrait, mais une fois les choses expliquées, Tumb se révèlera le meilleur ami du monde, toujours prêt à risquer sa peau pour sauver celle des autres. Les quelques répliques envoyées à Sonny, et le contraste qu’il forme avec les deux autres membres du trio, en font plus qu’une 3e roue du tandem. On peut citer en exemple la scène ou les trois copains font une balade nocturne dans les rues d’une ville arabe (n°9, p 27) :
« Tuckson : -Ô splendeur sauvaaage ! Ô nuit…euh…euh…superbe !
Danny : -Hé ! Tumb ! Tu as de quoi protéger notre poète contre des échauffés éventuels ?
Tumbler [faisant tournoyer son revolver] : -T’en fais pas ! J’ai ma lyre ! »
En fin de parcours, le personnage s’adoucit, et on croit deviner quelque tendre liaison avec leur collègue Cindy Mac Pherson, apparue dans l’Escadrille fantôme. Le « robot » s’humanise, mais s’affadit considérablement.
Par ailleurs, être un officier exemplaire n’a pas beaucoup favorisé la carrière de Tumb. Capitaine pendant la guerre du Pacifique, il se hisse péniblement au grade de major au n°45, soit à la fin de la guerre froide.
Quoiqu’il en soit, une véritable équipe a pris forme, avec des facettes et des talents complémentaires, qui font de l’inséparable trio la condition du succès de la série.
L’univers de Buck Danny.
De l’exotisme avant tout.
L’étude des théâtres d’opération de Buck Danny est assez révélatrice. Si l’on s’en tient au tandem Charlier/Hubinon, soit 40 albums, on obtient les statistiques suivantes :
-Asie orientale et Pacifique : 46%
-Les Caraïbes et l’Amérique latine : 16 %
-Les Etats-Unis : 14 %
-Le Moyen-Orient : 10 %
-Le grand Nord : 8%
-Sous-continent indien : 6 %
L’Europe disparaît purement et simplement, et l’Afrique n’est effleurée que dans sa partie nord (Sahara algérien et Egypte) avec les Trafiquants de la Mer Rouge. Il peut s’agir d’un choix personnel, liée au goût d’Hubinon pour les décors exotiques, jungles ou déserts, mais aussi d’un choix stratégique du scénariste Charlier, soucieux de laisser du champ libre à ses autres créatures volantes, les Français Tanguy et Laverdure…
Après la disparition de Charlier, les paysages se diversifient quelque peu : l’Europe apparaît à deux reprises avec l’URSS (les secrets de la Mer noire) et l’ex-Yougoslavie (l’Escadrille fantôme). L’Amérique centrale réapparaît pour deux albums (Zone interdite et Tonnerre sur la cordillère), ainsi que la Corée (La nuit du serpent). On se balade au Texas (n°50), en Antarctique (n°51) en Afghanistan (n°52) et en Iran (n°53). Mais d’Afrique noire, toujours point.
Pour des raisons politiques (voir plus loin), Charlier et Hubinon ont été amenés à inventer un certain nombre d’états, notamment en Amérique centrale et dans les Caraïbes (les républiques d’Inagua, du Mantegua, ou du Managua), ou dans le Sud-est asiatique (le Vien-Tan, ou le sultanat indépendant de Sarawak). Dans le n°53, Winis et Zumbiehl renouent de manière ridicule avec ce genre de finasserie, remplaçant l'Iran par le Basran, qui apparaît nettement sur une carte murale dès la page 5. C'est aussi malin que de cacher un éléphant derrière un réverbère ! Clin d'oeil ou balourdise ?
Quelques grands types d’aventures.
En 52 albums, Buck et ses copains semblent avoir fait plusieurs fois le tour de ce que l’on peut raisonnablement demander à un pilote, ce qui nous permet de regrouper les albums dans quelques grandes catégories.
La guerre, la vraie :
Nous entendons ici la participation ouverte à un conflit réel entre plusieurs états. Elle est assez peu présente dans la série : guerre du Pacifique de 1941 à 1945 (n°1 à 6), guerre de Corée de vers 1950 (n°11 à 13), guerre de Bosnie en 1995 (n°46), baston vite jetée contre la Corée du Nord des années 2000 (n°49) ou l'Iran des mollahs (n°53). Il peut paraître surprenant que la guerre du Vietnam passe ainsi à la trappe : un conflit long (de 1965 à 1973, pour le plus gros de l’intervention américaine), un décor au goût du dessinateur et du scénariste, d’infinies possibilités dramatiques…Mais les auteurs ont préféré éviter les sujets qui fâchent (voir plus loin le poids du politiquement correct) et ruser avec la censure.
La guerre contre les trafiquants, bandits internationaux et autres terroristes.
Faute de casser du rouge ou toute autre cible politiquement identifiable, nos héros se trouveront donc des ennemis plus présentables aux origines diverses. De vilains bandits surarmés feront l’affaire, et ce pour la plupart des albums suivant la guerre de Corée. On y trouve quelques petites frappes, tels les « braqueurs du ciel » de NC 22654 ne répond plus n°15), ou des truands de très haut vol, comme l’organisation internationale de Lady X (voir plus loin la galerie de portraits), qui donne du fil à retordre à nos héros à maintes reprises. Entre les deux, on peut citer les trafiquants « régionaux », telle la clique de Bronstein dans les albums 7 à 9, celle du Rajah malais des opus 18 et 19, voire la mafia elle-même dans la trilogie de la Vallée de la mort verte (n°38 à 40)
Dans certains cas, Charlier et Hubinon en profitent pour contourner la censure et utiliser les ressorts de conflits réels. C’est particulièrement net dans la trilogie du Retour des Tigres volants (n°26 à 28), parue entre 1960 et 1961. Dans un petit état du Sud-est asiatique, le Vien-Tan, une rébellion menée par le Prince Prahabang éclate et se rend maîtresse du nord du pays.
En réalité, ces insurgés sont manipulés et armés par une mystérieuse organisation criminelle, qui entend mettre la main sur le styrium, un minerai stratégique dont les seuls gisements connus sont au Vien-Tan. Les Etats-Unis entendent bien sûr réagir, mais veulent éviter « de graves complications internationales » en intervenant de manière trop voyante dans cette région sensible. Ils y expédient donc une escadrille de pilotes « mercenaires », rappelant les anciens « Tigres volants » du général Chennault qui avaient combattu aux côtés des Chinois contre les Japonais avant même l’entrée en guerre de leur pays d’origine. Cette escadrille de vaillants pilotes est bien évidemment confiée aux plus grands as de la Navy : Danny, Tuckson et Tumbler. L’allusion est ici transparente. Le Vien-Tan évoque le Viet-Nam (où les Etats-Unis commencent à l’époque à envoyer des « conseillers techniques » face à la guérilla viet-cong), le nom du prince rappelle Luang-Prabang, l’une des plus grandes villes du Laos, les rebelles nordistes et leurs amis le monde communiste.
Le terrorisme n’apparaît qu’au début des années 1980, avec une dangereuse organisation d’extrême-gauche soutenue par Lady X, qui prépare l’anéantissement de tous les chefs d’Etat et de gouvernement réunis lors du sommet de Cancun au Mexique, à l’aide d’une bombe thermonucléaire et d’avions F14 volés aux Américains (n°41 à 43 : de Mission apocalypse au Feu du ciel.)
Les deux trilogies mentionnées ci-dessous font à mon sens partie des meilleurs épisodes de la série.
Essai de prototype et défense de sites sensibles.
Il est bien connu que les Etats-Unis n’espionnent jamais personne, ni ne commettent le moindre sabotage chez les autres. Mais leur grande avance technologique et la qualité de leurs appareils suscitent bien des jalousies chez les méchants de tout poil, et autant de raisons de se mobiliser pour nos vaillants héros. Une bonne douzaine d’albums traite de cette thématique, partant de Pilote d’essai, jusqu’à Sabotage au Texas (n°50)
Les méchants sont évidemment des espions étrangers ou au service d’une puissance étrangère dont on taira pudiquement le nom (Pilote d’essai, X-15), des bandits vendus au plus offrant genre Lady X, ou de mauvais Américains qui cherchent à saboter les inventions de leurs concurrents pour vendre leur camelote à l’armée (voir l’ignoble Mac Dougall –allusion à Mac Donnell-Douglas ?- dans Prototype FX13 ). En fin de période, l’adversaire tombe le masque, tel le faux transfuge soviétique Ouchinsky dans Les Agresseurs.
Mission de récupération en territoire ennemi
C’est LE grand classique de l’histoire d’aviation et du récit militaire, et nos héros n’y coupent pas. Ce qui leur vaut parfois de se muer en véritables agents secrets avec nouvelle identité et l’obligation de se débrouiller tout seul, façon « Mission impossible ». On peut citer notamment Top Secret et Mission sur la vallée perdue (n°22 et 23), où il s’agit d’arracher un savant allemand échappé d’URSS aux griffes de Tibétains fanatiques ; ou encore la récupération d’une bombe atomique tombée aux mains d’un chef militaire sud-américain peu scrupuleux (Alerte atomique et l’Escadrille de la Mort, n°34 et 35), et enfin celle d’un agent de la CIA en Afghanistan (Porté disparu, n°52).
Chasse au trésor
Retrouver l’or caché des nazis est un bon moyen d’occuper quelques albums. C’est chose faite assez brillamment dans Patrouille à l’aube (n°14), quand Buck et ses copains sont capturés par un ancien commandant de sous-marin allemand à la recherche de l’épave de son vaisseau coulé au large des îles Ryu-Kyu en 1945, et sommés de lui venir en aide.
C’est un remake assez mauvais dans Mystère en Antarctique (n°51), où les nazis sont allés enterrer leur magot dans la glace du pôle Sud. L’intrigue principale se perd vite dans des péripéties assez moyennes, prétexte pour Buck à faire du tourisme sur le porte-avions français Charles de Gaulle (qui pour une fois semble fonctionner correctement), et pour Sonny de prendre un énième bain d’eau glacée. Bof !
Voltige aérienne
Il fallait s’y attendre, des as aussi doués ne pouvaient échapper à un stage chez les « Blue Angels », l’escadrille de haute voltige de la Navy. C’est chose faite dans le dyptique Les Anges bleus-Le pilote au masque de cuir, n°36 et 37), qui permet à nos héros de rencontrer leurs homologues étrangers dans un meeting aérien au Pakistan, dont d’autres personnages de BD (les Français Tanguy et Laverdure, ou le Canadien Dan Cooper). Des affreux vont bien sûr tenter de saboter le travail de l’équipe de Buck, avec le petit jeu bien rodé du « il y a un traître parmi nous. » Même topo ou presque dans Sabotage au Texas (n°50)
La recherche parfois difficile du « technologiquement correct »…
Bien documentés, les albums de Buck Danny constituent un « must » pour les amateurs d’aventures aéronautiques. Les plus passionnés se sont même amusés à recenser les appareils utilisés dans tous les albums (voir les sources), à rechercher si tel ou tel personnage, tel ou tel navire, tel ou tel grade sont bien à leur place. Le tandem Charlier/Hubinon a pu ainsi être épinglé pour ses inexactitudes. Pour ma part, j’en relèverai quelques unes :
-Dans les deux premiers albums, les Japonais emploient dans leur aviation embarquée des biplans assez ringards, de type Kawasaki Ki-10 « Perry » ou Aichi D-1 « Susie ». En 1941-1942, ces engins étaient complètement dépassés et remplacés par des Mitsubishi « Zero » ou autres Aichi « Val ». Buck n’a aucun mérite à descendre ces antiquités avec son Grumann Hellcat !
-L’attaque de Pearl Harbor elle-même souffre de pas mal d’approximations. On y voit des bombardiers bimoteurs Ki-21, en principe basés à terre et non à bord des porte-avions japonais ; de même, l’attaque de l’aérodrome de Hickam Field par des hordes de saboteurs japonais montés sur des camions-suicide, n’a existé que dans les rumeurs et les bobards propagandistes américains ayant proliféré après le 7 décembre 1941.
-Les casques portés par les soldats américains défendant Bataan ou Midway sont déjà du modèle 1942 (de forme arrondie), alors que les garnisons du Pacifique, à l’époque, n’étaient équipées que de l’ancien modèle plat de type britannique.
-Dans Attaque en Birmanie (n°6), les Ricains tirent honteusement la couverture à eux. On y voit leurs troupes au sol et leur aviation mener victorieusement l’offensive finale de 1945. En réalité, le front de Birmanie était le domaine des Britanniques, qui ont tout fait tout seuls, comme des grands…N’en déplaise à Hollywood et à Errol Flynn (voir le film presque éponyme de 1945)
-La base aérienne de Patuxent River, figurant dans les n°24 et 25, existe bel et bien, mais elle est située dans le Maryland et non en Californie.
-Les avions dominicains qui attaquent Tumbler dans Les voleurs de satellites (n°30) sont des Mig 19. Impossible ! Même si les Américains craignaient une contagion castriste en République dominicaine après la chute de leur allié Trujillo en 1961 (l’album date de 1962), au point d’intervenir militairement en 1965, les Soviétiques n’ont jamais fourni d’avions à ce pays.
-Mauvais raccord dans l’escadrille de la Mort, du fait de l’arrêt-maladie d’Hubinon (quand même, ils auraient pu se refiler leurs notes !) : la bombe atomique, qui était jusque là un cylindre orange, se transforme en gros machin noir, pour devenir une sorte de V1 blanc en fin de course. On n’arrête pas le progrès…
-Autre couac dans La Vallée de la mort verte : le « Crusader » de Sonny percute une falaise page 5. Lorsque l’équipe de secours retrouve l’épave page 15, l’empennage du zinc est devenu celui d’un « Phantom » ! Victor Hubinon est pourtant resté aux commandes sans faillir.
…et du « politiquement correct. »
Confrontés aux tabous et aux préjugés de leur époque, les auteurs de la série ont dû louvoyer ou s’adapter à certaines contingences, d’ordre politique, ethnique ou sexuel, voire écologiques.
Le poids du politique :
Pour tous les albums concernant la 2e guerre mondiale, Charlier et Hubinon peuvent se lâcher. Le Japon fait partie du club des méchants, et surtout des vaincus en 1945. Pas d’états d’âme à avoir. Il en est tout autrement avec les histoires ayant pour cadre la guerre de Corée (Ciel de Corée et Avions sans pilotes n° 11 et 12) De toute évidence, les auteurs n’aiment guère les Rouges, et ne se privent pas de leur coller les mêmes vices qu’aux Japonais (cruauté, fourberie, etc…) Nord-Coréens et Chinois en prennent pour leur grade, sans oublier un officier soviétique qui apparaît brièvement dans le n°11.
Manque de chance, les deux albums sortent en 1953, alors que le conflit coréen touche à sa fin (avec un match nul et l’armistice de Pam Mun Jon), mais toujours en pleine guerre froide, dans un contexte de forte pression du Parti communiste en Belgique et en France. Très puissants dans le monde intellectuel et dans l’édition, les communistes ne se privent pas d’organiser de véritables campagnes d’intimidation et de diabolisation que les éditions Dupuis, qui publient les exploits de Buck Danny, n’ont pas envie de subir. Le trio héroïque évitera donc de casser du bolchevique pendant les albums suivants, et ce jusqu’aux années 1980. La dernière passe d’armes avec les rouges aura lieu au début du n°13, lorsque l’escadrille de Buck tente d’intercepter un Tupolev « sans marques distinctives ». Le bombardier russe s’échappe dans les nuages, la 3e guerre mondiale est évitée, ouf ! Comme nous l’avons vu plus haut, il faudra travestir les cocos en « bandits internationaux » pendant près de trente albums.
Avec Mission Apocalypse et ses suites (1982), la politique est de retour, mais de manière assez discrète. En 1982, « la guerre fraîche » bat son plein, mais le PC a perdu beaucoup de ses capacités d’influence et de nuisance. Par ailleurs, les horribles gauchistes décrits dans l’histoire ne sont pas soutenus par l’URSS. Bref, cogner sur ces rouges-là ne coûte pas cher. Idem pour les Cubains, qui en prennent pour leur matricule dans Le feu du ciel (n°43) : ils sont aussi bêtes que méchants.
Dans les Agresseurs (1988), l’ennemi est clairement identifié : Pavel Ouchinsky, as de l’aviation soviétique passé aux Etats-Unis, n’est autre qu’un espion ayant pour tâche pour photographier le site ultrasecret de Nellis, dans le Nevada. Mais la détente gorbatchévienne est passée par là : les Soviétiques ne sont montrés ni comme des trop méchants, ni comme des imbéciles, et Buck rend hommage à son adversaire –et alter ego-descendu :
« Adieu, colonel Ouchinsky ! Tu as sacrifié ta vie à ta patrie…nous te devons respect et admiration ! » (n°44, p 61)
Respect et admiration auxquels les Serbes de Bosnie n’ont pas droit dans l’opus 46 (l’Escadrille fantôme), sorti en 1996. L’album a été réalisé l’année précédente, au moment où l’OTAN se décidait à intervenir en Bosnie, déchirée par la guerre civile depuis 1992. Bergèse, comme bien d’autres, est indigné par l’attentisme des forces occidentales, et très réceptif au discours dominant dans les médias, qui fait passer les Serbes pour des monstres et leurs ennemis croato-musulmans pour les gentilles victimes du « nettoyage ethnique ». Il imagine donc une resucée du Retour des Tigres volants, qui lui permet de se défouler. Même conformisme occidental dans le dernier opus (n°53), où l'on casse de l'Iranien et du Russe sans le moindre état d'âme, sinon des pudeurs de chochotte pour nommer franchement le pays des Mollahs.
De fait, on peut conclure sur ce point que les auteurs n’ont pas pris de grands risques, ce qui se comprend sans peine dans une logique commerciale. On regrettera pourtant le manque de recul et de sens critique à l’égard de la politique américaine dans le monde. La seule chose qui est reprochée aux « ronds de cuir » de Washington est leur frilosité et leur lourdeur bureaucratique. Les présidents américains sont largement épargnés (on ne voit occasionnellement que Kennedy, Reagan et Clinton, dans des postures avantageuses ou neutres), et pas une fois le fond même de l’action n’est remis en cause. C’aurait pu être le cas pourtant dans les n°38 à 40 ( la trilogie de la Vallée de la mort verte, parue entre 1972 et 1978), lorsque le porte-avions de Buck part en guerre contre la mafia de la drogue. L’amiral commandant le « Ranger », qui a perdu son fils héroïnomane, met sa carrière en péril pour sauver « des milliers de jeunes ». Pas un instant les liens troubles de la mafia et de la CIA ne sont évoqués, et encore moins l’implication des services secrets américains dans le trafic mondial de la drogue. C’est tout la faute à Lady X !
Les magouilles de ces mêmes services ne sont abordées que dans le n°50 (Sabotage au Texas), mais d’une manière à la fois embrouillée et bien peu convaincante. Buck Danny restera toujours un bon soldat ne se posant pas trop de questions.
Buck Danny et les « minorités visibles ».
Dans les premiers albums, parus à une époque où les lobbies de tout poil n’accablaient pas encore l’homme blanc de tous les maux, se manifeste un racisme plus ou moins virulent, en tout cas sans complexe.
En tête, les Japonais : d’un beau jaune vif, souvent chauves avec des oreilles pointues, ils sont la quintessence de la fourberie et de la cruauté orientale. Même après la guerre, ils continuent à nuire à la paix du Monde par quelques truands interposés : Suzuki, le conseiller du Rajah malais (Alerte en Malaisie et sa suite, n°18 et 19), ou Hirito, mercenaire au service de Lady X. (Le Retour des Tigres Volants, n°26)
Les Chinois ne leur sont supérieurs que par la grâce de leur alliance avec les Etats-Unis pendant la 2eme guerre mondiale. Ce qui n’empêche pas Sonny, vexé par sa mauvaise maîtrise de la langue de Confucius, de traiter ses camarades chinois de « Citron nature » (La Revanche des fils du ciel)
Les « peuples premiers » chers à Jacques Chirac ne sortent pas grandis non plus de certains épisodes : les Mélanésiens (n°1 et 2) sont cannibales et vénaux, les Moïs du Haut-Tonkin sont cruels et crédules, etc…
Les Arabes et les Musulmans offrent également un spectacle caricatural (n°7, 8, 9, 37, 52) : volontiers agressifs et prompts à l’émeute, évoquant sans cesse le nom d’Allah et la barbe du Prophète, ils se divisent en trois catégories :
-les vilains perfides et corrompus : l’émir Hussein (n°8 et 9), l’émir Féral (n°9), les chefs politiques afghans (n°52)
-les mal dégrossis, modèle sympa (le Cheikh El Maahdi, n°9) ou méchant (le chef d’atelier afghan du n°52), ou carrément stupide (Mahmoud, n°7 et 8)
-les évolués occidentalisés, tous gentils : Myriam El Maahdi (la fille du Cheikh, n°7 et 9), Asim, officier de police afghan (n°52)
Les adorateurs actuels du Dalaï-Lama, ou ceux qui gardent un souvenir ému de Tintin au Tibet ne pourront être que choqués de l’image donnée des Tibétains dans Top Secret (n°22) et sa suite (parus en 1958). Rétrogrades et fanatiques, ils n’ont rien de la bonhommie savante que l’Occident se plaît à leur attribuer.
Les Noirs américains sont quasiment absents des albums jusqu’au n°36, qui présente un véritable tournant dans la série. On y voit un mécano noir, Jefferson, suspecté de sabotage au sein du « team » des Anges Bleus. Buck prend sa défense malgré tous les soupçons qui pèsent sur lui, et à juste titre. Le brave Jefferson, qui n’est pas non plus un « Oncle Tom », mourra en héros en tentant de démasquer le vrai coupable. Le contexte de parution (1969-1970), avec les luttes raciales aux Etats-Unis et la montée de l’antiracisme en Europe, explique largement ce virage sur l’aile.
Les « minorités visibles » seront de plus en plus présentes, et moins grossièrement représentées dans les albums suivants. Il y aura même une gentille nord-coréenne ! (n°49)
Et les Juifs ? Oh, que voilà un sujet sensible ! Et bien, heu…hum…oui, en cherchant bien…il doit y en avoir quelque part. A savoir Samuel Bronstein, chef des trafiquants de hasch et d’armes des opus 7, 8 et 9, lié à une compagnie pétrolière sans scrupules. Le type est petit, gras, le cheveu rare, le nez crochu et la lippe proéminente. Mais on ne dit nulle part qu’il est juif, alors, hein ? Bon…voilà, voilà…
Buck Danny et les femmes.
Il est assez logique de penser que des histoires d’aviateurs militaires laissent assez peu de place aux femmes. Mais ce monde viril laisse quand même entrer quelques représentantes du beau sexe, que l’on peut classer en quatre catégories :
-Les gentilles jolies et débrouillardes : Susan Holmes, infirmière américaine (n°2, 4 à 6) ; Muriel Hathorne, alias agent XB16, de l’Intelligence Service (n°7 à 8) ; Cindy Mac Pherson, pilote de la Navy (n°46 à 52)
-Les méchantes, belles et intelligentes : Lady X (n° 17, 21, 26 à 28, 36 à 40, 41 à 43, 46 à 48) ; Miss Lee, l’infirmière-espionne sino-japonaise (n°4 à 6) la chanteuse-espionne Lulubelle (n°29).
-Les grosses bonnes femmes ridicules, en général plus ou moins « fiancées » au malheureux Tuckson : Pamela Knickerboom (n°24 et 25) ; Maeva (n°26) ; Eunice (n°41) ; Lucy, alias Lulubelle, (n°50) : rien à voir avec la méchante citée plus haut, sinon que celle-ci fut aussi fiancée à Tuckson.
-Les épouses éplorées un peu nunuches : Mme Lester (n°20), Mme Light (n°31).
Buck Danny et les animaux.
Si l’on adaptait les exploits de Buck Danny au cinéma, il y aurait intérêt à préciser, comme on le fait désormais pour les âmes sensibles, qu’aucun mal n’a été fait aux animaux durant le tournage. De 1947 à 1963, les pauvres bêtes s’en prennent plein la tête…il faut dire qu’elles le cherchent un peu, parfois.
Les requins ? Cramés au pistolet lance-fusées ou poignardés. ( n°1 et 2)
Les crocodiles ? Poignardés façon « Tarzan » (n°4)
Les buffles ? Dispersés à la grenade ( n°5)
Les tigres ? Empalés sur un épieu de bambou ou brûlés au pistolet lance-fusées –encore ! (n° 5 et 19)
Les scorpions ? Etrillés (n°8)
Les chiens ? Empoisonnés (n°9)
Les dromadaires ? Flancs brûlés pour les faire cavaler tout seuls, ou éventrés pour récupérer l’eau de leur estomac. (n°9)
Les pingouins ? Enfumés et capturés. (n° 16)
Les serpents ? Flingués. (n°18)
Les espadons ? Mitraillés. (n°18)
Les éléphants ? Poussés sur le tarmac alors que les avions décollent…un massacre ! (n°18)
Les chats ? On leur fait la vilaine blague de la casserole attachée à la queue. (n°28)
Les ours blancs ? Saignés à coups de couteau. (n°33)
Brigitte Bardot, au secours ! Après, ça se calme, la SPA veillant au grain. Quant au pauvre Tuckson, le seul à se montrer affectueux avec les animaux, cela se retourne toujours contre lui : le singe auquel il veut offrir un gâteau le lui écrase sur la tête (n°7), le pingouin qu’il nourrit à la cuiller lui renvoie son assiette en pleine figure (n°16). Enfin, O’Connor, le chien de l’amiral, passe son temps à le harceler (n°41 à 52).
Galerie de portraits : pals and rascals (les copains et les coquins –au sens ancien du terme)
Ou « friends and foes » dans le jargon aéronautique.
Les copains et copines (par ordre d’apparition) :
-Susan Holmes : une infirmière brune, jolie et courageuse, sauvée des Japs par Buck dans les Mystères de Midway. Bien partie pour être le boulet de service (« Buck, au secours ! », « Buck, je n’en peux plus ! »), elle révèle assez vite des talents cachés dans le B-17 qui les ramène au bercail : elle soigne les blessés avec efficacité, remplace au pied levé un mitrailleur et descend un chasseur japonais. Par la suite, elle sauvera les plans secrets de l’offensive alliée en Birmanie en sautant en parachute en pleine nuit, dans une jungle infestée de sales bêtes. Initiée à la pêche à la ligne par Sonny, elle ridiculise celui-ci en ramenant des kilos de poissons. Une perle !
-Tao-Tsou-Tsin : pilote chinois dans les Tigres Volants (n°3 à 6). Un vrai pote, maintes fois indispensables à nos héros pour se sortir de la mouise. Efficace, courageux, débrouillard…voilà qui vous réconcilie avec les Asiatiques.
-Muriel Hathorne : blonde agent secret britannique en Arabie. Sans elle, nos héros auraient eu bien du mal à se désensabler (n°7 et 8). Alors qu’elle vient de neutraliser une fourgonnette pleine de bandits d’un seul coup de pistolet, Buck déclare : « Hum ! Si vous êtes aussi forte en cuisine, votre mari sera un type heureux ! » (Les pirates du désert, p 20) Macho, mais pas faux !
-Slim Holden : l’anti Buck Danny: brun, le nez busqué, volontiers brutal et porté sur l’alcool, c’est un excellent pilote, mais porté à l’indiscipline et aux jugements hâtifs, révélant un net racisme dans les opus 36 et 37. Il est tenté à maintes reprises de basculer du côté obscur. Dès son apparition, dans SOS soucoupes volantes, on sent que ça va chauffer entre lui et Danny. Ce dernier finit même par lui mettre une trempe dans Prototype FX13, ce qui ne lui fait pas de mal. Le « bad boy » s’assagit et sera de bien des coups durs auprès de nos héros.
-Cindy Mac Pherson : blonde pilote de chasse, la première vraie collègue femme de nos héros, qui transforme le trio en quatuor à partie du 46eme épisode. Cette jolie fille est un composé, au nom comme au physique, des mannequins Cindy Crawford et d’Elle Mac Pherson, en vogue dans les années 1990. Veuve d’un pilote tué pendant la guerre du Golfe en 1991, elle vit seule avec sa fille Cécilia, se fait draguer sans grand succès par Tuckson, et semble à la colle avec Tumbler. Bon pilote, elle est quand même un peu fadasse et passe son temps à se faire enlever ou manipuler par Lady X. Rendez nous Susan et Muriel !
Les vilains et vilaines.
-Les Japonais : Pas un pour racheter l’autre, ils forment une seule entité maléfique dans les premiers albums. Ils ne font des prisonniers que pour les torturer et les faire parler. Quand ils acceptent une trêve pour permettre l’évacuation d’orphelins chinois d’une ville assiégée, ce n’est bien sûr qu’une ruse ignoble : « Nous laisserons l’avion embarquer son chargement, puis nos chasseurs l’abattront. Ça fera autant de petits Chinois de moins ! » (les tigres volants, p 18) Infects, on vous dit !
-Mo-Choung-Young : le péril jaune à lui tout seul. Avec sa complice Miss Lee, il travaille pour le « Dragon noir », une organisation secrète inféodée au Japon. Avec ses lunettes et son visage grimaçant, il a « la plus belle tête de faux témoin » qui soit. Bien que vite démasqué, il pourra sévir pendant quatre albums, échappant à maintes reprises à son juste châtiment jusqu’au coup de théâtre final.
-Samuel Bronstein : patron des « Arabian Airways », un véritable concentré de clichés anticapitalistes (gros cigares et grosses magouilles), voire antisémites. N’est pas sans rappeler le Blumenstein-Bohlwinkel d’Hergé, dans l’Etoile mystérieuse.
-Lady X : LA super-méchante. De son ancien nom Jane Hamilton, célèbre pilote d’essai américaine, a choisi de faire fortune en dirigeant une organisation criminelle spécialisée dans l’espionnage et le vol de prototypes, vendant ses services aux plus offrants. Une belle adaptation à la mondialisation libérale. Le personnage est plus moins inspiré de l’Allemande Anna Reitsch, fameuse aviatrice allemande de la période nazie. Elle est d’abord blonde aux cheveux mi-longs (la coiffure est assez tarte), puis brune aux cheveux longs, et enfin brune aux cheveux courts (ça lui va mieux). Ces changements de look s’expliquent par les nombreux accidents et opérations de chirurgie esthétique subies par la dame, mais aussi par le fait que les dessinateurs se sont inspirés de leurs épouses ou compagnes successives (deux pour Hubinon, une pour Bergèse).
Créature diabolique, n’hésitant pas à sacrifier ses complices, Lady X a la peau dure et survit aussi bien à un crash en pleine mer (n°17), qu’au grenadage de son sous-marin (n°21 et 40). Son art du déguisement progresse d’album en album, du franchement ridicule (un minuscule loup noir dans le n°17) au carrément bluffant (n°36 et 37).
Sentimentalement, on lui connaît une liaison intéressée avec un amiral japonais (suicidé à cause d’elle), révélé dans Ghost Queen (n°40), et un certain penchant pour Buck Danny, mélange d’amour et de haine. Reste un détail qui chiffonne : comment une bonne femme qui a foiré autant d’opérations coûteuses peut-elle encore trouver des clients pour l’embaucher ?
-Von Grotz : adipeux complice de Lady X à partir du n°41, inspiré au physique par le dessinateur et ami de Bergèse, le célèbre De Groot (auteur de « Léonard », « Robin Dubois » ou « Clifton ») Sorte de VRP du crime, sans plus.
Mi-copains, mi-vilains, les traîtres malgré eux.
C’est un genre assez fréquent dans la série, et un ressort dramatique commode permettant de donner une ampleur tragique à certains épisodes. Citons notamment :
-Rygman-San : pilote sud-coréen pendant la guerre de 1950-53, un as et un type bien. Soumis à un atroce chantage par les Rouges qui ont capturé sa famille, il est sommé de leur livrer un « Sabre » dernier modèle. Après d’affreuses tergiversations, San se sacrifie et sauve ses camarades en jetant son avion sur l’appareil ennemi (n°11 et 12).
-Charlie Lester : pilote d’essai. Soumis également à un abominable chantage par la bande de Lady X qui a enlevé son fils, il finit par leur livrer un prototype d’avion à décollage vertical. Se rachète et meurt héroïquement à la fin (n°20 et 21).
-Gordon : pilote d’essai, « couvre » le saboteur qui sévit dans l’escadrille en croyant que ce sale type est l’homme qui lui a sauvé la vie autrefois. Ecope d’une balle et se rachète, mais n’en meurt pas…ouf ! (n°25)
-Lilian Stirling : épouse d’un pilote des nouveaux Tigres volants. Pour sauver son fils, capturé par Lady X (encore !), elle rédige une lettre poussant son mari à se jeter dans un traquenard en compagnie de Tuckson. Il faudra monter une opération très risquée pour les sortir de là. Tout finit bien, mais on ne vous remercie pas, madame…(n°27 et 28)
-Sonny Tuckson : himself ! Berné par Lulubelle ( la 1ere du nom, la méchante), il envoie sans le savoir des signaux utiles aux affreux en écoutant des enregistrements de la voix de sa perfide « fiancée ». Il rattrapera largement le coup ensuite, cela va de soi…(n°30 et 31)
-Cindy Mac Pherson : sa fille ayant été enlevée par Lady X, elle passe brièvement au service de cette dernière avant d’être libérée par Tumbler. Elle s’en tire bien, celle-là !
Conclusion : interdit de vol ?
Comme nous l’avons vu plus haut, la série était en panne depuis 2007. En 2013, Winis et Zumbiehl ont pris le relais pour un résultat franchement mauvais. Malgré sa rigueur technique, Cobra noir est une immense déception. Francis Winnis dessine assez bien les avions, mais ses personnages semblent être des caricatures très moches de ceux de Bergèse. Quant au scénario de Frédéric Zumbiehl, il est carrément poussif, voire paresseux : une enième mission en territoire ennemi, un Tuckson à nouveau ridiculisé par une belle espionne, etc...
Notons quand même l'idée intéressante de "boucher les trous" de la carrière de nos héros en créant des épisodes nouveaux liés à leur passage en Corée au début des années 1950 : c'est l'objet de la collection Buck Danny "classic", dessinée par Jean-Michel Arroyo et scénarisée par Zumbiehl.
Mais en ce qui me concerne, j'arrête les frais !
La carrière de Buck et de ses camarades a été bien remplie, à l’exception d’une expérience d’astronautes que laissait envisager le n°32 (Alerte à Cap Kennedy), mais que les auteurs ont finalement laissée au placard par crainte de s’aventurer dans un domaine, la science-fiction, qui ne les attirait pas. Par ailleurs, l’aspect humoristique de la série, qui faisait une bonne partie de son charme (voir d’ailleurs les pastiches hilarants faits par Charlier et Hubinon de leurs propres créations dans certains numéros de Spirou), a fini par s’épuiser autant que le reste. L’aviation ultramoderne d’aujourd’hui, où l’ordinateur remplace l’homme, fait bien moins rêver. A bientôt 90 ans, Buck, Sonny et Tumbler peuvent prendre une retraite bien méritée. Ils voleront éternellement dans ma tête et dans les pages de nos albums, descendant les rascals, sauvant les innocents avec cette fraîcheur et cette vigueur des temps héroïques.
So long, pals !
Sources :
-Sites internet :
-richard.ferriere.free.fr/danny/danny.html
= tous les albums référencés du n°1 au n° 49, avec une recherche photographique de tous les appareils figurant dans les albums : un « must » !
-aeroplanet.net
-bdoubliees.com
-Ouvrages :
-Dictionnaire Larousse de la BD, Patrick Gaumer, 2004.
-Toutes mes lectures sur la 2eme guerre mondiale, la guerre froide et le reste : ça fait beaucoup, je vous les épargne…
-Tous les albums de la série : avec date de parution en album et ma note personnelle (/10) : totalement subjective !
-Hubinon et Charlier :
1 : les Japs attaquent (1948) = 4/10
2 : les mystères de Midway (1948) = 5/10
3 : la revanche des fils du ciel (1950) = 7/10
4 : les Tigres volants (1951) = 8/10
5 : dans les griffes du Dragon noir (1951) = 9/10
6 : attaque en Birmanie (1952)= 8/10
7 : les trafiquants de la Mer rouge (1952) = 5/10
8 : les pirates du désert (1952)= 8/10
9 : les gangsters du pétrole (1953) = 8/10
10 : pilote d’essai (1953)= 9/10
11 : ciel de Corée (1954)= 9/10
12 : avions sans pilotes (1954) = 9/10
13 : un avion n’est pas rentré (1954)= 8/10
14 : patrouille à l’aube (1955)= 8/10
15 : NC 22654 ne répond plus (1957)= 8/10
16 : menace au Nord (1957)= 8/10
17 : Buck Danny contre Lady X (1958)= 8/10
18 : alerte en Malaisie (1958)= 8/10
19: le tigre de Malaisie (1959)= 9/10
20: SOS soucoupes volantes (1959)= 9/10
21 : un prototype a disparu (1960)= 9/10
22 : Top secret (1960)= 7/10
23 : mission vers la vallée perdue (1960)= 7/10
24 : prototype FX 13 (1961)= 8/10
25 : escadrille ZZ (1961)= 8/10
26 : le retour des Tigres volants (1962)= 7/10
27 : Tigres volants à la rescousse (1962)= 9/10
28 : Tigres volants contre pirates (1962)= 9/10
29 : opération Mercury (1964)= 8/10
30 : les voleurs de satellites (1964)= 8/10
31 : X-15 (1965)= 7/10
32 : alerte à Cap Kennedy (1965)= 7/10
33 : le mystère des avions fantômes (1966)= 7/10
34 : alerte atomique (1967)= 8/10
35 : l’escadrille de la mort (1968)= 8/10
36 : les Anges bleus (1970)= 7/10
37 : le pilote au masque de cuir (1971)= 7/10
38 : la vallée de la mort verte (1973)= 7/10
39 : requins en mer de Chine (1977)= 8/10
40 : Ghost Queen (1979)= 8/10
-Bergèse et Charlier :
41 : mission Apocalypse (1983)= 8/10
42 : les pilotes de l’enfer (1984)=8/10
43 : le feu du ciel (1986)= 8/10
44 : les agresseurs (1988)= 8/10
-Bergèse et De Douhet :
45 : les secrets de la Mer noire (1994)= 5/10
-Bergèse :
46 : l’escadrille fantôme (1996)= 5/10
47 : zone interdite (1998)= 6/10
48 : tonnerre sur la cordillère (1999)= 6/10
49 : la nuit du serpent (2000)= 5/10
50 : sabotage au Texas (2002)= 4/10
51 : mystère en Antarctique (2005)= 5/10
52 : porté disparu (2008)= 4/10
53: Cobra noir (2013)= 2/10.
QUIZZ
Pour les fans, dix questions sur « Buck Danny » :
1) Cet avion bimoteur produit par la firme Douglas et commercialisé à partir de 1936 est considéré comme l’une des plus grandes réussites de l’aviation de transport. Buck et ses amis l’emprunteront à maintes reprises dans leurs premières aventures. Quel est cet appareil ?
a) Le Constellation b) le B 25 Mitchell c) le DC3
2) Sonny Tuckson a donné un prénom féminin, toujours le même, à ses premiers zincs à certaines de ses voitures. Quel est ce prénom, qui est aussi celui de l’une de ses fiancées ?
a) Pamela b) Maeva c) Lulubelle
3) Cet ingénieur chinois, en réalité un espion japonais démasqué sans peine par Buck dans Les japs attaquent, porte un nom que l’on retrouvera par la suite chez une des « grandes méchantes » de la série. Lequel ?
a) Chang b) Ming c) Lee
4) A deux reprises dans sa carrière, Buck est secouru par une technique acrobatique inventée par l’aviation américaine, laquelle ?
a) Il s’agrippe aux ailes d’un avion passant en rase-motte.
b) Il est « pêché » par un câble relié à l’avion de secours.
c) Il est aspiré vers l’avion par une sorte d’aspirateur géant.
5) Près de quelle petite ville chinoise se trouve la base des « Tigres volants » de Buck ?
a) Sou-Chow
b) Hankéou
c) Tchong-King
6) Qu’abrite la base secrète américaine de « Target Zero », en Alaska, qui intéresse tant Lady X ?
a) Une usine de retraitement de déchets radioactifs.
b) Un site de lancement de missiles à tête nucléaire.
c) Des prototypes d’avions révolutionnaires.
7) Dans Escadrille ZZ et X-15, les saboteurs utilisent la même cachette pour planquer leur bombe :
a) Un ours en peluche
b) La combinaison anti-G du pilote
c) La cartouche explosive du siège éjectable.
8) Pour échapper à ses poursuivants, Sonny Tuckson emploie à trois reprises et dans trois albums la même vieille ruse :
a) Il se dissimule dans un sac de riz.
b) Il s’enterre dans une fosse avec un tuyau pour respirer.
c) Il se cache sous l’eau avec un roseau creux pour respirer.
9) D’où viennent les pilotes terroristes dont les F-14 doivent attaquer Cancun dans la trilogie Mission Apocalypse ?
a) De Libye.
b) D’Iran.
c) D’Irak.
10) Dans Sabotage au Texas, Buck Danny a l’occasion de piloter à nouveau un chasseur qu’il avait bien connu dans les années 40. Lequel ?
a) Le P51 Mustang
b) Le P39 Airacobra
c) Le Grumann Hellcat.
Solutions page suivante.
Solutions du Quizz :
1) C
2) A
3) C
4) B
5) A
6) B
7) A
8) C
9) B
10) A
Article mis à jour en février 2015.
Recueil d'articles sur les héros de BD franco-belge de mon enfance : Alix, Ric Hochet, Tif et Tondu, Buck Danny etc ... Analyse et critique totalement subjectives !
Les Monuments de la BD franco-belge
Retrouvez des héros, des purs, des vrais, comme au bon vieux temps !
dimanche 14 novembre 2010
samedi 23 octobre 2010
TIF et TONDU : un monument de la BD franco-belge
Introduction : deux vieux amis…
Le premier album de « Tif et Tondu » qui me tomba entre les mains fut, je crois, Le retour de Choc (n°5), perdu par la suite. Ce fut un véritable coup de foudre, et je n’eus de cesse, au fil des années, d’accroître ma collection. Le plus étrange est que j’eus un mal de chien à retrouver Le retour de Choc, que je ne redécouvris que fort tardivement pour réaliser, non sans surprise, que je me souvenais très bien d’un récit lu une seule fois, à l’âge de six ans ! Il est vraiment des lectures marquantes, et je dois celle-ci à ces deux vieux amis de ma jeunesse.
Tif et Tondu font partie des grands classiques de la BD franco-belge. Tif apparaît le premier, dès le premier numéro du journal de Spirou, le 21 avril 1938. Tondu le rejoindra dès la cinquième planche de ses aventures, pour un long compagnonnage qui prendra définitivement fin en 1997, avec la disparition de la série.
Sur ces presque soixante années d’existence, la saga de Tif et Tondu aura connu pas mal de vicissitudes et d’auteurs différents. Des origines à 1949, c’est Fernand Dineur qui dessine et scénarise ses héros, dans une succession d’histoires invraisemblables et décousues, proches des pantalonnades des Pieds-Nickelés. A partir de 1949, Will (Willy Maltaite, né à Anthée le 30 octobre 1927, décédé le 18 février 2000 à La Hulpe, en Belgique) se chargera du dessin, et ce jusqu’en 1991. Il y eut néanmoins une courte période d’interruption, de 1962 à 1964, durant laquelle Marcel Denis animera les deux héros pour des péripéties ne figurant pas dans la collection éditée par Dupuis. Will, ayant repris le collier, travaillera successivement, pour le scénario, avec Fernand Dineur (jusqu’en 1952), Luc Bermar et Albert Despreschins, alias Ben (de 1952 à 1954) puis Maurice Rosy (jusqu’en 1968), Maurice Tilleux (jusqu’à la mort de celui-ci, en 1978), et enfin Stephen Desberg, qui abandonnera la série en même temps que lui. Tif et Tondu sont repris en 1993 par Alain Sikorski (pour le dessin) et Denis Lapière (scénariste), sans grand succès, dans quelques exploits de baroudeurs pas très originaux. Le souffle et les lecteurs n’y étant plus, les éditions Dupuis mettent fin à l’épopée en février 1997.
Nous nous intéresserons ici à l’analyse des aventures des deux héros parues en albums chez Dupuis, dans la collection « Tif et Tondu » proprement dite, du numéro 1 (La Villa sans souci, réalisée en 1951-1952, publiée en album en 1985) au numéro 38 (La tentation du bien, éditée en 1989). Pourquoi s’arrêter là, alors que la série se poursuit jusqu’au numéro 45 (le mystère de la chambre 43) ?
J’avais dès le départ l’intention de me pencher sur la seule œuvre de Will (assisté par son fils Eric Maltaite dans les derniers albums), qui a vraiment « porté » le fameux duo pendant ses meilleures années. Sans vouloir vexer personne, ce qui précède et suit la « période Will » n’a pas grand intérêt. Tif et Tondu sont nés et sont morts avec lui. C’est aussi par respect pour l’auteur que j’ai préféré conclure cette étude par l’histoire qui la terminait en beauté, la seule parue en 88 planches et deux albums (les n°37 et 38), et non par l’inutile sursaut de Coups durs (n°39), où Will et Desberg rempilent péniblement avant de passer la main.
NB : par une bizarrerie inexplicable, l’album Choc au Louvre (1964) a été publié en album en 1966 sous le numéro 9 de la série, passant ainsi après La Villa du Long Cri (n°8), réalisé pourtant après lui, comme en attestent les propos de Choc ou les notules des épisodes suivants. Le lecteur avisé intervertira donc les numéros 8 et 9 pour une bonne compréhension de la série.
Tif et Tondu, vrais ou anti héros ?
Les deux font la paire.
Tif est aussi chauve et glabre que Tondu est chevelu et barbu, mais les deux personnages partagent au demeurant le même physique : bouille ronde, gabarit trapu, avec une bedaine assez proéminente au début de leurs aventures, qui va les ranger pour quelques temps dans la catégorie « petits gros ». Par la suite, leur morphologie va quelque peu se modifier à leur avantage : ils gagnent en taille, et le bide disparaît plus ou moins. Pour ce qui est de la tenue vestimentaire, Tif et Tondu porteront souvent les mêmes habits, comme pour renforcer leur gémellité symbolique, et ne divergeront dans ce domaine qu’à partir du numéro 11 (La poupée ridicule) Mais à l’instar de bien d’autres binômes d’aventuriers, ce qui distingue nos deux héros est à chercher au niveau du caractère.
Tif est plutôt fantasque, brouillon, gourmand, fainéant, dragueur (sur le tard) et souvent ridicule. Ancien capitaine de la marine marchande, Tondu est le « raisonnable » de service, volontiers caustique envers son ami, mais indéfectiblement loyal et honnête. Plus posé, il partage néanmoins avec Tif le goût de l’aventure, de la bagarre et de la défense du bon droit. La bonne chère et le confort ne sont pas non plus pour lui déplaire.
Après leur rencontre sur une île déserte (où le barbu a précédé le chauve après le naufrage de son navire, le Marius), les deux hommes ne se quittent plus, et partagent la même chambre, quelque soit la taille de leur logement…ce qui ne préjuge en rien de leur orientation sexuelle, comme on le verra plus loin.
Des débuts assez lamentables.
Pendant longtemps, la collection « Tif et Tondu » éditée par Dupuis commençait invariablement au numéro 4 (Tif et Tondu contre la Main blanche), laissant planer le mystère sur leurs précédentes aventures –du moins pour les jeunes aficionados dont j’étais. Qu’avaient-ils fait de si honteux pour que leurs premiers exploits soient ainsi remisés dans la catégorie « péchés de jeunesse » ?
A partir de 1985, une partie « montrable » de ces temps héroïques fut enfin publiée en trois albums (sans remonter pour autant aux tout premiers pas), et l’aficionado le plus indulgent comprend alors le pourquoi d’une telle pudeur : c’était assez minable !
Sous la plume encore maladroite de Will, suivant les idées limitées de Dineur (n°1), Bermar (n°2) et Ben (n°3), Tif et Tondu mettent en échec des trafiquants de gnôle (La Villa sans souci), courent après un improbable Trésor d’Alaric ou découvrent le grotesque secret d’Oscar et ses mystères. Fauchés, maladroits, en quête de petits boulots ou d’occasions illusoires de faire fortune, nos « héros » affrontent des méchants à leur portée et se couvrent souvent de ridicule. Il y avait là tout juste de quoi contenter les jeunes lecteurs peu exigeants des illustrés d’après-guerre, et l’on comprend sans peine qu’il ait fallu si longtemps pour que Dupuis se décide à publier ces pitreries en album.
Le décollage : les années Rosy (1955-1968), du n°4 au n°15.
C’est sous la direction de Maurice Rosy, engagé en 1954 aux éditions Dupuis comme « donneur d’idées » (sic) que décolle vraiment la carrière de nos héros. Dans Tif et Tondu contre la Main blanche, ils se trouvent par erreur confrontés à une redoutable organisation internationale de malfaiteurs, et surtout son chef charismatique, le mystérieux « Monsieur Choc » (voir plus loin la rubrique « Amis, ennemis »). Si les péripéties de l’album tiennent encore un peu du bricolage sans grande cohérence, l’ensemble tient en haleine et annonce des lendemains meilleurs. Devenus célèbres, Tif et Tondu n’ont plus de soucis financiers, et seront sollicités pour des problèmes autrement plus palpitants qu’à leurs débuts.
Les histoires prennent ensuite beaucoup plus d’épaisseur, et la présence d’un « Monsieur Choc » aussi machiavélique qu’indestructible va permettre à Will de développer tout son talent. Si la trame générale reste assez classique (du n°4 à Choc au Louvre), se rattachant à la lutte contre un banditisme haut de gamme façon « Fantômas », une pointe de fantastique et de science-fiction apparaît peu à peu, à forte teneur onirique en fin de période. On retiendra particulièrement l’ambiance mystérieuse et inquiétante de La villa du Long Cri (n°8, ou plutôt 9) ou Des flèches de nulle part (n°10), le spectaculaire Réveil de Toar (n°12), et surtout l’extraordinaire Grand Combat (n°13), à mon goût le meilleur album de la période Rosy.
L’inspiration faiblit nettement dès que Choc sort du paysage, que ce soit en cours de période (La poupée ridicule-n°11, histoire d’espionnage assez poussive) ou à la fin des années Rosy, avec la matière verte (n°14) et sa suite Tif rebondit (n°15) Dès lors, il était permis de se demander si nos héros se relèveraient de la disparition (provisoire) de leur meilleur ennemi.
La maturité : les années Tillieux (1968-1978), du n°16 au n°27.
Pendant une dizaine d’années, le scénariste (et par ailleurs dessinateur) Maurice Tillieux, l’une des plus grandes pointures des éditions Dupuis, va réussir l’exploit de faire oublier M. Choc, tout en diversifiant le champ d’investigation de nos héros. Ceux-ci vont enquêter un peu partout, sur des affaires bien différentes où l’on retrouve sans peine la patte de l’auteur de Félix et de Gil Jourdan. Que ce soit le coup monté à teneur fantastique (Tif et Tondu contre le Cobra, les Ressuscités…), la science-fiction (L’ombre sans corps, Sorti des abîmes…), l’expédition archéologique lointaine (Aventure birmane…), ou l’enquête criminelle classique (le scaphandrier mort…), le couple Will-Tillieux mêle les genres avec bonheur. Font un peu tache sur le tableau (à mon goût, toujours) deux albums plus faibles : Tif et Tondu à New York (n°23), histoire assez médiocre de luttes rivales entre gangs, et Les passe-montagnes (n°27). Dans ce dernier cas, un début prometteur laisse place à un dénouement sans grand intérêt, résultat peut-être d’un passage de relais impromptu de Tillieux ( déjà malade, et décédé en cours de réalisation) à Stephen Desberg.
La mutation et la fin : les années Desberg (1979-1989)
Cette ultime décennie de notre étude se caractérise par une mutation assez nette de nos héros et de l’univers dans lequel ils évoluent. Les histoires sont beaucoup plus sombres, violentes, avec une plus grande dose de sexe et de politique… à l’image somme toute des années 1980. M. Choc fait un retour en force à trois reprises (n°32, 33 et 35), donnant du fil à retordre au célèbre duo, confronté également à des menaces d’ordre fantastique (Métamorphoses, Le sanctuaire oublié, Magdalena…) Le ton général est de plus en plus ironique, et le tout explose en beauté dans les opus 37 et 38, par lesquels j’ai choisi de clore ce voyage dans le monde de Tif et Tondu.
Dans cette histoire en deux parties (la seule de toute la collection que nous avons vu jusque là), Will et Desberg se livrent à une sorte de jeu de massacre. Tif et Tondu y passent pour des ringards, dépassés par de nouveaux héros plus jeunes, plus beaux et plus efficaces, caricatures d’eux-mêmes en bellâtres branchés : Phil Harmonic et Paul Ennta. Ruinés par leur avoué, ils connaissent à nouveau les affres de la précarité, vivotant dans un appartement minable, employés dans des jobs déprimants de flic bas de gamme (Tif) ou de journaliste à scandale (Tondu). Le contexte politique de l’époque et de la région où se déroule l’histoire (la Côte d’Azur, où le FN s’installait alors en position de force) inspire aux auteurs une attaque en règle contre un mouvement d’extrême-droite (Les phalanges de Jeanne d’Arc), une police raciste et corrompue, ou une presse qui ne l’est pas moins. Le couple que l’on croyait en béton explose lui aussi à la charnière des deux albums : pour sortir de la misère, Tif accepte de travailler pour le méchant de service, le vénéneux Antonin de Maldague, qui l’achète littéralement, au grand dam de Tondu. Si l’on apprend en fin de compte que tout cela n’était que ruse destinée à tromper l’ennemi, le lecteur ne s’y trompe pas : Will et Desberg sont fatigués, et souhaitent en finir avec leurs héros. Aux deux dernières planches, le « happy end » de rigueur ressemble furieusement à un départ en retraite :
« Chaque fois, déclare Tondu, on se dit qu’on prendrait de belles grandes vacances bien méritées…[suit une évocation de quelques unes de leurs aventures]…je crois qu’il est temps que nous allions cultiver notre jardin… »
Sur la dernière vignette, nos héros partent en voiture sur une route en corniche, avec une affiche en arrière plan indiquant « Le jardin des désirs » (titre d’une autre BD de Will et Desberg) En bas, Will se dessine lui-même à sa table de travail, jetant sa plume et prononçant le mot « FIN ».
Qu’y avait-il de plus à rajouter ?
Constantes et évolution de l’univers de Tif et Tondu.
Si les scénaristes ont changé, et par là-même influé sur les lignes de force de l’épopée tif et tondesque, on peut néanmoins relever des paramètres traduisant le changement et la continuité du monde de Tif et Tondu.
Pays et paysages.
A l’instar de l’autre couple phare des éditions Dupuis, Spirou et Fantasio, Tif et Tondu sont d’authentiques voyageurs. Sur les 38 albums étudiés ici, 22 se déroulent partiellement ou en totalité à l’étranger. Nos héros ont posé le pied dans toutes les grandes régions du Monde (Europe bien sûr, Amérique du Nord et du Sud, Asie orientale, Afrique noire et du Nord, Océanie…) Quelques uns des pays visités sont imaginaires : la Moumagnie (sorte de dictature d’Europe de l’Est) dans Tif rebondit, les archipels de Taura-Atarétéla (n°11) ou de Atuvu-Montoutou (n°21), le Sambaguay (n°7), etc…D’autres sont plus explicitement nommés : la France, les Etats-Unis, le Japon, ou le Brésil. Chose assez fréquente chez les personnages des éditions Dupuis, la patrie des auteurs, la Belgique, n’apparaît presque jamais. Tout au plus y fait-on allusion dans la Villa sans souci et sa misérable affaire de contrebande. Bruxelles et ses environs ne figurent que dans Magdalena. Parmi les grandes villes étrangères de prédilection de Tif et Tondu, on peut citer Londres (cinq albums) et New York (deux albums) La France est à l’honneur, avec Paris (dans sept albums, dont surtout Choc au Louvre), la Bretagne (quatre albums) et surtout la Provence et la Côte d’Azur ( neuf albums).
Les paysages méditerranéens ou tropicaux sont à l’honneur, avec un fréquent contraste de rocaille et d’exubérance végétale. Si nos héros sont à l’aise en ville, les régions désolées et les petites bourgades les attirent invariablement. Les châteaux, restaurés ou en ruines, sont des décors également très présents, le record étant battu dans Un plan démoniaque (n°22), avec pas moins de trois châteaux médiévaux servant de repaires aux méchants, en Allemagne, en France et au Portugal.
Quant à l’habitat de Tif et Tondu, il est des plus confortables : villa moderne avec parc arboré et piscine (autant que leurs moyens le leur permettent). On remarquera que dans le domaine architectural, Will ne s’intéresse pas qu’à l’ancien. Le style « bauhaus » et ses variantes de l’après-guerre (toits à plan incliné, pergola, grandes baies vitrées, etc…) revient de façon constante dans certaines vignettes
Armures, mannequins et automates.
Outre le célèbre casque de M. Choc (voir plus loin), les armures médiévales sont assez fréquentes dans les aventures de Tif et Tondu. Simples éléments de décor dans le retour de Choc, elles deviennent des entités à part entière, sous une forme géante, dans le réveil de Toar et un plan démoniaque. Comme on peut s’y attendre, nos héros peuvent aussi s’y dissimuler et les utiliser à leur profit (les ressuscités)
Mannequins et automates sont des figurants d’un genre un peu spécial, dont M. Choc fait un usage intensif pour échapper ou nuire à ses adversaires, et ce dès l’opus 4. Les automates proprement dits contribuent beaucoup au climat angoissant de La villa du Long Cri, et prennent le rang de vrais personnages, doués de conscience et de sensibilité dans le fantasmagorique Magdalena.
On pourra s’interroger à l’infini sur la présence récurrente de ces personnages ou accessoires particuliers, mais ils constituent certainement l’un des traits marquants de l’œuvre de Will.
Seconde guerre mondiale et nazisme.
Will avait treize ans lorsque l’Allemagne envahit la Belgique, pour la deuxième fois en moins de trente ans. La guerre et l’occupation ne pouvait qu’avoir laissé des traces et influencé sa créativité, comme pour toute une génération. La fascination indéniable exercée par cette période sombre de l’Histoire européenne était –et reste plus que jamais- riche d’inspiration. Beaucoup de BD de l’immédiat après-guerre font pourtant l’impasse sur des évènements trop frais que l’on s’efforce alors d’oublier. Le conflit n’est brièvement évoqué dans Tif et Tondu, pour la première fois, que dans Le retour de Choc, datant de 1955…et encore ne s’agit-il que de mentionner les destructions causées à des chantiers navals.
Il faut attendre encore dix ans et Les flèches de nulle part, pour que la guerre et ses séquelles fassent l’objet d’un scénario complet. L’intrigue met ici en relief les extraordinaires avancées scientifiques des nazis, dissimulées dans une base souterraine du centre de la France et réexploitées par l’inévitable M. Choc (alias Trock). Mais cela tient davantage de la fantaisie James-bondienne que de l’approche historique. Six ans plus tard, dans Sorti des abîmes, c’est à bord d’un Junker 87 « Stuka » sorti d’un musée de l’air britannique que Tondu va tenter d’abattre un monstre gélatineux qui menace de détruire Londres. Cette idée aussi rocambolesque qu’absurde (pourquoi ne pas utiliser un bon vieil obusier, ou un lance-roquette ?) semble avoir été dictée à Will et Tillieux par la seule perspective alléchante de faire à nouveau piquer un Stuka sur la capitale anglaise ! Deux albums plus loin, c’est à l’occasion d’une plongée sous-marine dans le Pacifique que le même Tondu nous fait visiter un champ de matériel américain englouti, vestiges là encore de la dernière guerre.
C’est avec Desberg que le nazisme réapparaît en fanfare, dans l’opus au titre évocateur de Swastika (1983) Les aventures de nos héros sont ici délirantes, mais réjouissantes et pleines d’allusions : aux prises avec Adolf Hitler lui-même, le Docteur M (Mabuse, sans doute) ou de superbes amazones en quête de mâles vigoureux, Tif et Tondu vont remonter la piste de l’élixir de jouvence, puis du trésor de guerre des nazis caché dans un volcan africain !
Indiana Jones peut aller se rhabiller…
Bagnoles et petites pépées.
En vrais machos célibataires, Tif et Tondu ont des centres d’intérêt des plus masculins : les voitures, puis, sur le tard, les femmes.
Les voitures sont l’accessoire indispensable de tout bon héros de BD franco-belge des années héroïques. N’oublions pas que de l’après-guerre aux années 1970, posséder une automobile était aux yeux des jeunes le signe d’une certaine réussite, symbole de progrès et de performance. Avant de virer écolo avec Gaston Lagaffe, Franquin aimait jouer aux petites autos avec Spirou et Fantasio. Tif et Tondu n’échappent pas à la règle. Ils aiment la vitesse, et leur passion pour les sports automobiles éclate dans le n°7 (Plein gaz) où ils participent à une course en Amérique du Sud. A cette occasion, Tondu s’illustre au volant de la « Narval », que l’infâme M. Choc tente vainement de voler. Remerciés par le constructeur, nos héros conduiront pendant quelques albums un véhicule de la marque ( ce qui n’est pas sans rappeler la Turbotraction de Spirou et Fantasio), avant de se rabattre plus prosaïquement sur des véhicules ordinaires, le plus souvent des Citroën, de préférence de couleur rouge. Dans Echec et match, Tif renoue avec le sport automobile, au service du constructeur Verdant dont il pilote un prototype révolutionnaire au grand prix de Monaco.
En ce qui concerne les femmes, il faut attendre la révolution sexuelle des années 1970 pour observer un début d’intérêt de la part de nos héros. Jusqu’au numéro 16 inclus, le « beau sexe » est quasi inexistant, réduit à quelques figurantes du genre matrones, tenancières de bistrot, concierges, mères de familles ou potiches à la silhouette et aux traits peu travaillés. En 1969, dans Tif et Tondu contre le Cobra, apparaît enfin un personnage féminin un peu consistant : Amélie d’Yeu, dite « Kiki » (voir plus loin). Mais celle-ci fera longtemps figure d’exception, et passé un moment de vaine passion, Tif cessera de trouver le moindre intérêt sexuel à celle qui est devenue une amie de plus. Car c’est évidemment lui qui se montrera le premier à manifester quelque intérêt pour les filles, d’abord sous la forme d’une passion amoureuse romantique pour Lina Maia de Cintra (n°22), puis d’une obsession de drague tous azimuts, façon vieux beau guetté par le démon de midi (n°29 et suivants). Tondu, plus réservé, attend le numéro 30 pour faire quelques avances à Kiki, avant de s’éprendre de la belle et dangereuse Gina, complice de M. Choc (n°33 et 35).
D’une manière générale, Will va perfectionner sa représentation des corps féminins au fil des dix derniers albums, leur donnant beaucoup plus de sensualité, avec une nette préférence pour les brunes sportives et bien roulées. Un certain penchant pour l’érotisme chic se manifeste, qui se traduira plus franchement dans d’autres œuvres de Will et Desberg (cf Le jardin des désirs) Psychologiquement parlant, les femmes de cette période ont aussi un caractère beaucoup plus affirmé, alliant souvent le charme, l’intelligence, l’habileté…et la perfidie (voir Janice dans le n°29, ou Gina déjà citée) Nos héros sont souvent bernés, voire mis au tapis, par ces ravissantes créatures.
Le bêtisier de Tif et Tondu.
Les meilleurs auteurs du monde ne peuvent éviter toutes les erreurs, qu’une relecture attentive permet de débusquer. En voici quelques-unes :
-n°7 (Plein gaz) : sans doute un peu ému, le pilote Prunelle confond ses amis : lorsque Tondu prend sa place au volant de la « Narval » pour finir la course, il s’exclame : « Tif a du cran ! » A la fin du même album, Choc (alias Von Müdeschlüssel) est hospitalisé à la suite d’une sortie de route, et bien entendu arrêté. Tif se rend à son chevet et vient faire rapport à Tondu. En toute logique, on devrait enfin savoir qui est vraiment M. Choc. Eh bien non…RAS !
-n°10 (Les flèches de nulle part) : à la fin du récit, Choc tombe à nouveau aux mains de nos héros et des autorités. Voilà enfin l’occasion de rattraper la boulette. Qui est-il, bon sang ? Circulez, y a rien à voir. Cela doit tenir du secret défense…
-n°12 (Le réveil de Toar) : deux mystères importants sont complètement évacués par Will et Rosy : le sort de M. Stein, l’antiquaire enlevé au début de l’histoire ? Nous n’en saurons rien. Les « empreintes d’un autre âge », qui semblaient terroriser le vieil instituteur de Mény-le-Géant ? Le lecteur pourra en déduire que Choc ou l’un de ses sbires s’est amusé à porter des chaussures de chevalier, mais cela restera pure spéculation…
-n°17 (Tif et Tondu contre le Cobra) : comment fait l’homme-serpent qui fouille clandestinement le château d’ Yeu pour pénétrer dans une pièce sans passer par la porte ? Pourquoi laisse-t-il du varech derrière lui ? Pourquoi se déguise-t-il de la sorte alors qu’il ne se sait pas filmé ? Une bête cagoule aurait suffi, non ? Allez, faites chauffer vos méninges...
-n°18 (Le roc maudit) : lorsque l’équipe de relève des gardiens du phare d’Etatel découvrent les corps pendus de leurs collègues, une curieuse translation d’identité s’effectue entre la page 12 et la page 14. Crochemain est devenu Jagu, et vice-versa.
-n°29 (Le sanctuaire oublié) : au début de l’histoire, celui qui semble être le chef des méchants apparaît à contre-jour, donnant ses ordres au téléphone…c’est de toute évidence un homme. Plus tard, on apprend que ledit chef n’est autre que la belle Janice, dont la silhouette ne saurait se confondre avec celle entrevue auparavant. Patatras !
-n°30 (Echecs et match) : Tif se vante d’avoir remporté la course panaméricaine relatée dans Plein gaz. Ce n’est pas parce que Prunelle t’a confondu avec ton pote qu’il faut tirer toute la couverture à toi, frimeur !
Amis, ennemis.
Nous ne présenterons ici que les personnages figurant dans plusieurs albums. Leur première apparition sera mentionnée entre parenthèses.
Les amis.
-L’inspecteur Allumette : (n° 5 : Le retour de Choc) petit bonhomme sympathique, cachant sous une apparence fluette un talent certain pour les arts martiaux, l’inspecteur Allumette n’aime guère les armes à feu. Son chat noir Rodolphe, élégant et mystérieux, n’apparaît hélas que dans l’album cité plus haut.
-L’inspecteur Fixchusset : (n°16 : L’Ombre sans corps) rouquin moustachu et flegmatique, tirant sur sa pipe avec humour, c’est le Britannique dans toute sa splendeur.
-La comtesse Amélie d’Yeu, dite « Kiki » : (n° 17 : Tif et Tondu contre le Cobra) première femme à entrer dans la vie de nos deux briscards. Jolie blonde passablement capricieuse, riche à millions, Kiki se comporte à la fois en boulet et en bouée se sauvetage, la deuxième tendance l’emportant plutôt sur la première au fil des albums, émancipation féminine oblige. On le lui connaît aucun fiancé, et ne fréquente Tif et Tondu que par pure amitié.
Les ennemis.
-Monsieur Choc : (n° 4 : Tif et Tondu contre la main blanche) LE grand méchant par excellence, machiavélique et effrayant à souhait. Le plus souvent vêtu d’un smoking et d’un heaume (dont la forme évolue entre le n°4 et le n°5, pour se fixer définitivement), mais ayant volontiers recours à divers masques, maquillages et bandelettes, l’homme est un digne héritier de Fantômas. Toujours élégant, il aime également les fume-cigarettes, accessoire classieux mais surtout pratique pour qui veut fumer en gardant clos son casque médiéval.
Il intervient dans 12 albums sur les 38 étudiés (sans compter une apparition dans un cauchemar de Tif, dans le n°30), et ce en deux périodes :
-du n°4 au n° 13 (hormis le n°11).
-du n°32 au n° 35 (hormis le n°34).
Dirigeant l’organisation criminelle internationale de « la Main blanche », Choc agit le plus souvent avec l’aide de complices de plus faible envergure, qu’il n’a aucun scrupule à laisser tomber lorsque les choses tournent mal, ou pour garder la plus grosse part du butin. Il se plaint souvent de la nullité de ses sbires, mais n’agit seul que dans Les flèches de nulle part, où son identité n’apparaît qu’à la fin. Identité, le mot est lâché … qui est donc M. Choc ?
Nous avons vu précédemment que le bougre a été démasqué à au moins deux reprises, mais sans aucune conséquence pour lui. Les auteurs continueront donc à faire marner le lecteur, lui jouant parfois de mauvaises blagues, comme dans ce court récit en deux planches parues dans Spirou en 1976 (n°2001), intitulé « l’image de Choc ». On l’y découvre enfin tête nue, et même tout nu, puisqu’il s’agit d’une photo de bébé !
Criminel de haut vol, Choc agit pour l’argent, mais envisage aussi la domination politique, employant pour cela toutes les ressources de la technologie moderne et même ancienne (le géant Toar ou le savoir occulte des lamas Tibétains). Dans le grand combat, sa capacité à pénétrer et influencer les rêves des autres lui permet de soumettre le gouvernement français. Bien plus tard (Choc 235), c’est carrément à la domination du Monde qu’il prétend, en planifiant une guerre planétaire depuis un petite île dont il est le maître absolu.
Comme nos héros, c’est en fin de carrière que Choc s’intéresse aux femmes : on peut citer la redoutable Jade (Traitement de Choc) ou la perfide Gina, avec laquelle il ne fait pas que parler boulot.
Choc disparaît pour la dernière fois dans l’explosion de son canot à moteur (n°35 : dans les griffes de la Main blanche), ce qui ne convainc guère, tant ce génie du Mal excelle à échapper aux coups les plus durs. Pourtant, c’est bien dans cet opus qu’il termine sa carrière : poursuivi par la vindicte d’une coalition mafieuse, réfugié au fin fond de la jungle asiatique dans une « cité des voleurs » caricaturale, Choc n’est plus qu’un vieux méchant fatigué et « has been ». A l’instar encore une fois de ses vieux ennemis, pour lesquels il éprouvait de l’estime, Choc appartient à une époque révolue, où la grande classe primait sur l’intérêt le plus sordide.
La vérité sur l'identité de M. Choc sera finalement révélée dans le magnifique hommage consacré à ce génie du Mal et à ses créateurs : la trilogie Choc, les fantômes de Knightgrave, dessinée par Eric Maltaite et scénarisée par Stéphan Colman, publiée entre 2014 et 2018. A lire après avoir lu la série d'origine !
-Gina Felicita : (n°33 : Choc 235) jolie brune aux yeux bleus, originaire de Milan, se présente d’abord comme une étudiante aux pouvoirs médiumniques. En fait complice et maîtresse de Choc, elle va rouler nos héros dans la farine. Tondu, qui en pince pour elle malgré tout, fera tout pour la retrouver et l’utilisera afin de retrouver la piste du maléfique bonhomme. Après le numéro 35, la belle milanaise disparaît du paysage.
Conclusion : à nos chers disparus…
Même si leur épopée s’est officiellement éteinte, Tif et Tondu continuent à vivre dans les pages des vieux albums des collectionneurs, ou celles des rééditions de ces « intégrales » qui perpétuent la mémoire des vétérans de la BD. Les retrouver au mieux de leur forme, ou doutant d’eux-mêmes sur leurs vieux jours, reste un plaisir pour l’amateur éclairé. A vous, messieurs Tif, Tondu et Choc, à vos papas si talentueux, je resterai éternellement redevable de bien des bons moments. Merci, les gars…
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