Les Monuments de la BD franco-belge

Retrouvez des héros, des purs, des vrais, comme au bon vieux temps !

vendredi 19 juin 2015

Blake et Mortimer, monument absolu de la BD franco-belge.

By Jove !

            Ce n’est pas sans trembler que l’amateur, fût-il un peu éclairé, ose s’attaquer à Blake et Mortimer. Telle n’était pas d’ailleurs mon intention initiale, car j’avais au départ envisagé un article sur un autre grand classique de ma jeunesse, Gil Jourdan, de Maurice Tillieux. Hélas, trois fois hélas, un talentueux amateur m’avait déjà bien devancé sur « Wikipédia » (je recommande d’ailleurs l’article à tous les nostalgiques du fameux détective des Trente Glorieuses) ! Après quelques hésitations, et une relecture complète des albums (période jacobsienne et post-jacobsienne), je me suis donc jeté à l’eau.
Disons-le tout net, ceux qui veulent tout savoir sur l’illustre créateur des deux Britanniques les plus célèbres de la BD franco-belge risquent d’être déçus. Je leur conseille pour cela deux sources ayant servi à mon travail : Un opéra de papier, autobiographie d’Edgar Pierre Jacobs (paru chez Gallimard en 1981, réédité en mai 2013), et le monde d’Edgar Pierre Jacobs, de Claude Le Gallo, édité par le Lombard en 1984. Ce dernier ouvrage comporte notamment un dossier spécialement consacré à la cultissime Marque jaune, par Daniel Vankerckhove. On peut y ajouter divers articles tirés d’internet, notamment sur Wikipédia, qui sont globalement bien faits. Et enfin la formidable et émouvante BD biographique Edgar P. Jacobs, le rêveur d'apocalypses, réalisée par François Rivière (scénario) et Philippe Wurm (dessin), parue en 2022.
Mon intention est ici de traiter de l’univers créé par Jacobs et approfondi par ses continuateurs (Juillard, Sente, Van Hamme et les autres) dans sa globalité, et d’y apporter, comme dans mes autres articles, mon jugement et ma sensibilité personnelle. Il ne s’agit donc pas d’une Nième grand messe à la gloire de Jacobs ou d’un délire de fan.



            Comment je suis tombé dans la « Jacobs dimension ».



Ce n’est pas par Blake et Mortimer que je suis entré dans le monde d’Edgar Pierre Jacobs, mais dans une autre œuvre moins connue du grand public, le Rayon U, destiné au départ à ma sœur aînée, et qui venait de paraître pour la première fois en album aux éditions du Lombard.
D’emblée, j’étais mordu : des monstres géants, des hommes-singes, des Indiens et des combats aériens. Tout un univers d’aventures naïves et trépidantes s’offrait à moi, bien avant que je ne découvre Le Monde Perdu de Conan Doyle, dont Jacobs s’était visiblement inspiré.
Blake et Mortimer déboulèrent dans mon existence peu après, avec le 1er tome du Secret de l’Espadon, qui tombait à pic pour régaler l’amateur d’histoires guerrières que j’étais déjà. Les autres albums s’enchaînèrent, dans un relatif désordre, pour compléter ma collection. Malgré les railleries de ma sœur, qui considérait –avec pas mal de ses potes de la « bof génération »- que cette BD était un monument de ringardise, je suis resté fidèle aux personnages créés par Jacobs, malgré –ou à cause- des traits caractéristiques de cette œuvre dont nous reparlerons plus loin. Jacobs mariait pour moi le merveilleux et le réalisme, avec un parfum désuet de BD d’autrefois, où la violence et le sexe n’avaient pas encore tout contaminé.

           
Quelques points de repère.

Quiconque n’est pas trop familier de la série Blake et Mortimer risque d’avoir besoin des repères suivants.
La « période jacobsienne », réalisée par le « maître » lui-même (à une exception près), comporte au total huit récits publiés par le journal Tintin, avant de paraître en dix albums (les deux premiers récits ayant nécessité deux tomes). Tous les albums ont été publiés initialement par les éditions du Lombard, avant d’être repris par Dargaud, puis les Editions Blake et Mortimer.
-Le Secret de l’Espadon, 1946. Deux tomes en albums : La poursuite fantastique (1950), SX1 contre-attaque (1953).
-Le Mystère de la Grande Pyramide, 1950. Deux tomes en albums : Le Papyrus de Manéthon (1954), La Chambre d’Horus (1955).
-La Marque Jaune, 1953. Parution en album : 1956
-L’énigme de l’Atlantide, 1955. Parution en album : 1957.
-SOS Météores, 1958. Parution en album : 1959.
-Le piège diabolique, 1960. Parution en album : 1962.
-L’Affaire du collier, 1965. Parution en album : 1967. Les 18 premières planches de cet album ont été crayonnées par Gerald Forton, avant reprise par Jacobs.
-Les 3 formules du professeur Sato, 1971. Jacobs ne put réaliser que le tome 1 (Mortimer à Tokyo), paru en album en 1977.
EP Jacobs, de plus en plus malade, disparaît en 1987.

Dix albums en quarante ans, notre auteur ne semble pas des plus productifs ! Mais nous verrons plus loin que la grande rigueur de Jacobs, qui faisait tout lui-même ou presque, ne lui permettait pas l’abattage d’un Tibet, d’un Will ou d’autres champions de la Bd de l’époque.

La période post-jacobsienne
Il faut attendre 1990, pour que la saga reprenne. Et encore ! Bob De Moor, vétéran de l’école belge, ne s’attaque à Blake et Mortimer que pour terminer l’œuvre interrompue, en utilisant les notes et carnets de Jacobs. Il rend ainsi possible la conclusion que tous les fans attendaient aux 3 formules du Professeur Sato, avec la sortie du tome 2, Mortimer contre Mortimer aux Editions Blake et Mortimer. Ces éditions, fondées du vivant de l’auteur en 1982 se sont spécialisées, comme leur nom l’indique, dans le développement et l’exploitation des deux héros de Jacobs. Créées à l’origine par un désaccord entre l’auteur et les éditions du Lombard, les éditions « B et M » ont été finalement rachetées en 1992 par le groupe Médias Participations, qui possède entre autres…Dargaud et le Lombard !
Les nouveaux propriétaires ne vont pas manquer d’exploiter un filon juteux, d’autant que les ayant-droit de Jacobs ne sont pas aussi casse-pieds que ceux d’Hergé. Ils font donc appel à des auteurs chevronnés (dont le prolifique scénariste Jean Van Hamme) qui devront relever le défi de faire revivre les deux Britanniques, en dehors de toute consigne laissée par leur père.
Deux voies s’offraient à ces continuateurs :
-Revisiter largement l’œuvre fondatrice, à la façon dont furent poursuivies, par exemple les aventures de Spirou et Fantasio après la disparition de Franquin.
-Rester le plus fidèle possible à l’œuvre de Jacobs, tant au niveau du style graphique (la fameuse « ligne claire ») que de la construction scénaristique, tout en s’efforçant d’enrichir l’ensemble par petites touches successives.
C’est cette dernière option, à mon avis la meilleure, qui a été retenue, et prend forme avec L’Affaire Francis Blake, scénarisé par Van Hamme et dessiné par Ted Benoît, publié en 1996.
L’histoire s’éloigne sensiblement des thèmes fondamentaux de l’univers jacobsien (voir plus loin), se limitant à une sombre histoire d’espionnage inspirée des Trente-neuf marches, film d’Alfred Hitchcock de 1935, lui-même tiré du roman de John Buchan.
Un pari audacieux, mais soigneusement préparé par un intense matraquage médiatique et une publication en épisodes dans le magazine Télérama. Le succès de l’expérience permet de poursuivre l’aventure quatre ans plus tard. Afin de garantir une production soutenue, les « héritiers » de Jacobs vont travailler en parallèle, et sortir successivement, de préférence à l’approche de Noël :
-La Machination Voronov (Yves Sente, André Juillard), 2000
-L’étrange rendez-vous (Van Hamme, Benoît), 2001.
-Les Sarcophages du 6e continent (Sente, Juillard), tome 1 : la menace universelle (2003) et 2 : le duel des esprits (2004).
-Le sanctuaire du Gondwana (Sente, Juillard), 2008
-La malédiction des trente deniers (Van Hamme, René Sterne et Chantal De Spiegeleer pour le tome 1 en 2009. Le décès de René Sterne entraîne un passage de relais à Antoine Aubin pour les dessins du tome 2 paru en 2010.)
-Le Serment des cinq lords (Sente, Juillard), 2012.
-L’Onde Septimus (Jean Dufaux, Aubin et Etienne Schréder), 2013.
-Le bâton de Plutarque (Sente, Juillard), 2014.
-Le Testament de William Sheakespeare (Sente, Juillard), 2016.
-La Vallée des Immortels (Sente, Teun Berserik, Peter Van Dongen), tome 1 : Menace sur Hong Kong (2018), tome 2: Le Millième bras du Mékong (2019)
-Le Cri du Moloch (Dufaux, Christian Cailleaux, Etienne Schréder), suite directe de L'Onde Septimus, en 2020.
-Le Dernier Espadon (Van Hamme, Berserik, Van Dongen), en 2021.
-Huit heures à Berlin (Bocquet, Fromental, Aubin), 2022.
Ce travail à la chaîne, bien loin de l’œuvre « artisanale » de Jacobs, reflète les impératifs commerciaux de la maison d’édition de nos héros, bien décidée à exploiter à fond la marque « Blake et Mortimer ». Ainsi, le Secret de l’Espadon, puis le Mystère de la Grande Pyramide, ont-ils été republiés en trois tomes au lieu de deux. Certains albums de la série post-jacobsienne ont été également relancés sous une couverture différente (la Machination Voronov), ou carrément reformatés en mini-album unique là où il y avait deux tomes de 53 planches chacun (Les sarcophages du 6e continent). Passons rapidement sur les innombrables produits dérivés (dessin animé, mugs, figurines, pyjamas, jeux…), qui sont la rançon d’un succès par ailleurs bien mérité, même s’ils donnent parfois à l’amateur l’impression d’être pris pour un gogo.
    L'exploitation du filon Jacobs s'est étendue en 2023 avec une suite au mythique "Rayon U", intitulée La Flèche Ardente, dessinée par Christian Cailleaux et scénarisée par Van Hamme. L'idée d'une suite avait aussi émergé du cerveau fébrile de l'auteur de ces lignes lorsqu'il avait une quinzaine d'années, sous forme d'un roman inachevé, dont l'histoire était bien différente de celle finalement parue en BD. Si cette dernière contient quelques clins d'oeil savoureux aux connaisseurs du monde de Jacobs, qu'il s'agisse du dinosaure attaquant Dagon, de son sous-marin de poche, ou de quelques éléments de décor tirés de divers albums de Blake et Mortimer, l'ensemble laisse une impression mitigée : ligne beaucoup trop claire par rapport à l'original, clichés politiquement corrects, et "happy end" à la limite du ridicule. Finalement, l'histoire que j'avais conçue à quinze ans était autrement plus ambitieuse ! 
    Il convient cependant de saluer la réussite que constituent les trois albums parodiques publiés par Dargaud, sous un format identique aux vrais albums, réalisés par Pierre Veys et Nicolas Barral, sous le titre des Aventures de Philip et Francis :
1)      Menaces sur l’Empire (2005)
2)      Le Piège machiavélique (2011)
3)      SOS Météo (2014)
Non seulement l’amateur éclairé se régale, mais le cinéphile, ou n’importe quel adepte de la « pop culture », se délecte de tous les clins d’œil qui parsèment les albums, de La fureur du Dragon à Orange Mécanique, en passant par la série le Prisonnier…sans oublier un hommage aux Pink Floyds !




Je suis nettement moins enthousiaste en ce qui concerne l'hommage rendu  à Blake et Mortimer par François Schuiten, auteur de la série des Cités Obscures, dans un album sorti en 2019 sous le titre du Dernier Pharaon. Après l'avoir feuilleté en librairie, je me suis hâté de le remettre sur son présentoir, rebuté par le dessin et une "ambiance" totalement en rupture avec l'esprit jacobsien. Peut-être est-ce une erreur de ma part, mais tant pis !
Par contre, un grand coup de chapeau à Hubert et Laurent Védrine, pour leur remarquable "biographie" du Colonel Olrik parue chez Fayard en 2019.  Un vrai boulot de fan et d'érudit. 

Le cadre chronologique.

Celui de l’ère jacobsienne suit à peu près le « présent » de l’auteur, soit une période de 25 années, s’étirant de 1946 à 1971. Les continuateurs de Jacobs ont fait le choix intéressant, mais difficile à mettre en œuvre, de rester dans cette fourchette temporelle et de « boucher les trous » de la période jacobsienne (pour l’instant dans la seule période allant des origines à 1958), ne se permettant que quelques incursions dans le passé de Blake et Mortimer afin de creuser les personnages et d’en révéler la jeunesse, notamment dans Les Sarcophages du 6e continent ou Le Serment des cinq lords. Le dernier opus, Le bâton de Plutarque, est quant à lui un véritable « prequel », dont l’action se situe entre 1944 et 1946, et annonce le début du Secret de l’Espadon, tout en nous permettant d’en savoir plus sur l’affreux Olrik, l’éternel ennemi de nos deux héros.
Les albums de l’ère post-jacobsienne, contrairement  à ceux de l’ère précédente, ont été publiés en fonction de l’inspiration de leurs scénaristes respectifs, et leur ordre de parution ne suit pas l’ordre chronologique. Un article de « Wikipédia » s’est efforcé de remettre tous les récits dans l’ordre, ce qui donne le résultat suivant (merci à l’auteur dudit article, qui s’est coltiné ce fastidieux travail, que je me suis contenté de copier-coller en y ajoutant une remarque pour la datation du Serment des cinq lords, du testament de William S. et de La Vallée des Immortels. Les dates entre crochets correspondent à la 1ere publication du récit en album) :

-1944 : Le Bâton de Plutarque [2014]

Cette aventure se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, deux ans avant Le Secret de l'Espadon.

-1946 : Le Secret de l'Espadon [1950 et 1953]

Comme toutes les aventures écrites par Edgar P. Jacobs, celle-ci se déroule à la même date que son écriture. La prépublication débute le 26 septembre 1946 dans Le Journal de Tintin.

-1947 ? : La Vallée des Immortels . En deux tomes [2018 et 2019]

Cette aventure se déroule juste après la chute de l'Empire jaune, au moment de la victoire communiste en Chine. En fait, l'état d'avancement de la guerre civile chinoise laisse à penser que l'on serait plutôt en 1949. Mais la date donnée par les auteurs à l'album suivant (janvier 1948) nous oblige à retenir cette hypothèse.

-1948 : Le Dernier Espadon  [2021]

Se présente comme la suite directe de l'opus précédent. Comporte, malgré d'indéniables qualités, de grosses incohérences chronologiques avec l'ensemble de la saga.

-1950 : Le Mystère de la Grande Pyramide [1954 et 1955]

Cette aventure se déroule après Le Secret de l'Espadon. Elle se situe à la même date que son écriture. La prépublication débute le 23 mars 1950 dans Le Journal de Tintin.

-Décembre 1952 : La Marque jaune [1956]

Cette aventure se déroule après Le Mystère de la Grande Pyramide. Elle se situe à la même période que son écriture. La prépublication débute le 5 août 1953 dans Le Journal de Tintin. L'action se déroule durant le mois de décembre. En effet, en page 10, une lettre envoyée par la Marque jaune est datée du 18 décembre. De plus en page 70, Francis Blake souhaite un « Joyeux Noël à tous ». Il s'agit de décembre 1952 car L'Onde Septimus se déroule au mois de juin de l'année suivant La Marque Jaune. Comme L'Affaire Francis Blake se déroule en juin de l'année 1954, L'Onde Septimus ne peut se situer qu'en juin 1953.

-Juin 1953 : L'Onde Septimus [2013]

Cette aventure se déroule après La Marque jaune et en est la suite directe. Le récit débute page 5 durant « Trooping the Colour », la parade d'anniversaire de la reine Elizabeth II. Cette cérémonie a lieu au mois de juin.

-Hiver 1953-1954 : Le Cri du Moloch [2020]. Suite directe de l'histoire précédente.


-Juin 1954 : L'Affaire Francis Blake [1996]

Cette aventure se déroule après Le Mystère de la Grande Pyramide. En page 37, un calendrier situé dans le bureau de l'inspecteur chef Kendall indique comme date du jour le samedi 19 juin 1954 (1954 Saturday June 19th). En page suivante Mortimer lit l'article d'un journal relatant un événement survenu le 18 juin.

-Octobre 1954 : L'Étrange Rendez-vous [2001]

Cette aventure se déroule après Le Secret de l'Espadon et La Marque jaune. Elle se situe avant 1958 comme l'indique la note en bas de la page 26. Le récit débute page 3 par une analepse, située le 17 octobre 1777. Puis il est indiqué en page 5 que la suite du récit se passe « 177 ans plus tard », c'est-à-dire en 1954. En page 18, le docteur Kaufman indique d'ailleurs « Cette année 1954, l'année où nous sommes ». Plus loin en page 50, il précise même que les événements se déroulent en octobre 1954.

-Fin 1954 : Le Serment des cinq Lords [2012]

Cette aventure se déroule après Le Secret de l'Espadon. Le récit débute page 3 par une analepse datée de novembre 1919. Puis en page 6, il est précisé que le reste du récit se déroule « 35 ans plus tard », ce qui correspond à l'année 1954. L'aventure se déroule en fin d'année comme l'atteste la météo hivernale.

Petit problème : à la fin de cette histoire (p.64), Mortimer reçoit une lettre lui annonçant qu’il vient d’être admis au très sélect « Centaur Club », pour le récompenser de ses exploits contre la « Marque jaune », lesdits exploits étant censés avoir eu lieu au cours des précédentes fêtes de Noël, donc en 1953. Ce qui ne colle pas avec la date mentionnée plus haut pour la Marque jaune, à savoir décembre 1952.

-Septembre 1955 : La Malédiction des trente deniers [2009 et 2010]

Cette aventure se déroule peu après L'Étrange Rendez-vous. Le récit débute en page 3 par un tremblement de terre qui se déclenche dans la nuit du 26 au 27 août. Puis peu après, il est indiqué en page 5 que deux semaines ont passées. Le colonel Olrik est détenu au pénitencier de Jacksonville, en Floride, aux États-Unis depuis la fin des événements de 'L'Étrange Rendez-vous. En page 55, une note indique que l'aventure se déroule douze ans avant l'année 1967, c'est-à-dire en 1955.

-1956 : L'Énigme de l'Atlantide [1957]

Cette aventure se situe à la même date que son écriture. La prépublication débute le 19 octobre 1955 dans Le Journal de Tintin. Ce ne peut être en 1955 car Olrik est en prison durant la plus grande partie de cette année là.

-Janvier à octobre 1957 : La Machination Voronov [2000]

Le récit débute page 3 le 16 juin et se finit page 62 le 4 octobre. A cette même page, il est signalé par la radio le lancement du satellite artificiel Spoutnik 1 qui a lieu le 4 octobre 1957. A la fin de l'aventure en page en page 60, Olrik est emprisonné dans un goulag russe. Il n'en sortira que durant Les Sarcophages du 6e continent.


-Février à avril 1958 : Les Sarcophages du 6e continent [2003 et 2004]

Cette aventure se déroule après La Marque jaune et La Machination Voronov. Le récit débute tome 1 page 3 en février 1958 et s'achève tome 2 page 56 le 17 avril 1958 à Bruxelles lors de l'ouverture de l'Exposition universelle de 1958.

-Été 1958 : Le Sanctuaire du Gondwana [2008]

Cette aventure se déroule après La Marque jaune, La Machination Voronov et Les Sarcophages du 6e continent. En page 10, le journal que consulte Mortimer date le début des événements d'avril 1958. En page 6, la suite du récit se déroule « Trois mois plus tard », soit le mois de juillet.

-Fin août 1958: Le Testament de William S. Les événements semblent avoir lieu immédiatement après ceux du Sanctuaire du Gondwana.

-Avril 1959 : S.O.S. Météores [1959]

Cette aventure se situe à la même période que son écriture. La prépublication débute le 8 janvier 1958 dans Le Journal de Tintin. À la fin de l'aventure en page 64, Olrik est enfermé dans une prison française. Il ne s'en échappera que durant L'Affaire du collier.

-Septembre à Novembre 1960 : Le Piège diabolique [1962]

Cette aventure se déroule après S.O.S. Météores. Elle se situe à la même date que son écriture. La prépublication débute le 22 septembre 1960 dans Le Journal de Tintin. En page 63, un article de presse indique que la conclusion se situe en novembre et qu'elle a débutée deux mois plus tôt, c'est-à-dire en septembre.

-1963 : L'Affaire du collier [1967]

Cette aventure se déroule après S.O.S. Météores. En page 3, un article de presse indique que l'Affaire du collier de la reine Marie-Antoinette d'Autriche a eu lieu 178 ans plus tôt, en 1785. L'action se situe donc en 1963.
Année chargée pour nos héros, puisque c'est aussi à ce moment que se déroulent les péripéties de Huit heures à Berlin [2022], sans doute après l'Affaire du collier, puisqu'on y retrouve Olrik qui venait juste de s'évader de sa prison française au début de ce dernier album. Présence assez peu vraisemblable d'ailleurs, et à mon avis pas franchement nécessaire à un scénario somme toute fort réussi, avec quelques allusions aux Yeux sans visages, de Franju, au Rideau déchiré d'Hitchcock (qui apparaît lui-même en figurant, comme il aimait à le faire dans ses propre films), à Orange mécanique (le reconditionnement de Mortimer) et à la série Le Prisonnier.

-1971 : Les 3 Formules du professeur Satō [1977 et 1990]

Cette aventure se déroule après L'Affaire du collier. Elle se situe à la même date que son écriture. La prépublication débute le 12 octobre 1971 dans Le Journal de Tintin. En page 4 du tome 2, Blake séjourne à l'hôtel New Otani qui a été construit en 1964. En page 22 du tome 2, l'action se déroule dans le quartier de Shinagawa qui a été construit en 1947.

Edgar Pierre Jacobs, un artiste polyvalent.

Né le 30 mars 1904 à Bruxelles, décédé à Lasne (Belgique) le 20 février 1987, Edgar Pierre Jacobs ne semblait pas prédestiné à ce que l’on appelait avec mépris dans sa jeunesse les « petits Mickeys ». Mais ses talents de dessinateur sautent aux yeux à la lecture de ses cahiers d’écolier, où son goût pour l’Histoire se manifeste par de splendides illustrations ayant souvent pour thème le Moyen-Age.
Il exercera jusqu’à près de quarante ans toute sorte de métiers : dessinateur de bijoux, retoucheur de photos, illustrateur de publicité. Aucune prédisposition particulière pour la science-fiction, qui sera pourtant le fondement de son grand œuvre. Tout au plus Jacobs a-t-il lu Conan Doyle (dont les exploits du Professeur Challenger), ainsi que Herbert George Wells (dont il illustrera une réédition de La Guerre des Mondes). Sa passion le porte vers le théâtre et l’opéra, participant à la grande revue du Casino de Paris en compagnie de Mistinguett, pour devenir artiste lyrique à l’opéra de Lille. Il élabore lui-même certains décors, écrit des pièces…
Une passion du détail que l’on va retrouver par la suite dans les travaux préparatoires de ses BD, toujours nourries d’une solide documentation, avec réalisation de maquettes pour les véhicules, de plans pour les lieux clés, etc…
L’auteur de ces lignes a pu en tester la rigueur au cours du mois d’août 1992. J’étais à l’époque en vacances chez un ami, résidant à Orsay, au sud de Paris, dont le père possédait toute la collection des Blake et Mortimer. En relisant SOS Météores, dont l’action se déroulait non loin de là, avec moult indications géographiques, nous eûmes l’idée de partir sur les traces de Mortimer et de retrouver le fameux domaine de « Troussalet », base secrète des méchants de service. Ce ne fut pas sans mal, car l’urbanisme de la région parisienne avait passablement évolué en 34 ans, mais nous avons trouvé l’entrée du domaine, identique ou presque à celle dessinée par Jacobs. Pour les fans de l’album, je conseille l’excellent site suivant : emmanuelmailly.free.fr/essaiparent1.htm
En 1940, Jacobs abandonne avec regret l’opéra pour des tâches alimentaires, à savoir illustrateur dans la revue belge Bravo !, journal pour enfants.
           
Le Rayon U, œuvre fondatrice.

            Ce premier album de Jacobs était en fait un travail de commande pour Bravo !, qui avait déjà eu recours à lui pour terminer des épisodes de Flash Gordon (Gordon l’intrépide) dont la livraison, occupation de la Belgique oblige, avait été interrompue en 1942 par l’entrée en guerre des Etats-Unis. Le succès du genre poussa donc l’éditeur à demander à Jacobs de créer une « flash gordonnerie » à la sauce européenne, qui parut entre 1943 et 1944. Ce Rayon U dut attendre trente années pour sorti en album, et c’est ainsi que je fis sa découverte, par la grâce des éditions Dargaud (1974).
Comme le démontre fort bien Claude Le Gallo, tout l’univers jacobsien est déjà présent dans cet opus de « jeunesse » (jeunesse toute relative, puisque l’auteur était dans sa quarantième année lorsqu’il acheva cette histoire) : la science, l’aventure, un monde préhistorique, une civilisation perdue de type précolombien, de longues pérégrinations dans d’obscurs et inquiétants souterrains. Il n’est guère difficile, avec un peu de recul, de repérer dans les personnages du Rayon U ceux de l’épopée de Blake et Mortimer.
L’élégant, blond et sportif Lord Calder annonce déjà Francis Blake ; le Professeur Marduk : Philip Mortimer ; le fidèle Adji : Nasir ;  le fourbe Dagon : Olrik, etc…
Par contre, des différences sautent aux yeux. D’abord, le souci du réalisme, qui imprègne toutes les aventures de Blake et Mortimer, s’efface ici complètement au profit d’une sorte d’ « Heroïc fantasy » mâtinée de Space Opera (sans l’espace, mais avec les costumes du genre selon la mode de l’époque), dans une intrigue d’ensemble aussi simpliste que linéaire, vaguement inspirée de celle du Monde perdu. Quel décalage avec les scénarios si bien charpentés dont Jacobs nous a régalés par la suite ! Enfin, l’importance –toute relative néanmoins- des personnages féminins : Sylvia Hollis, fille adoptive de Marduk, et la princesse Ica. Leur rôle est certes assez passif, mais c’est leur présence qui fait rebondir l’action (enlèvements, jalousie, etc…) Les codes de la BD pour la jeunesse, édictées par la loi de 1949, vont par la suite  priver les deux futurs grands héros de Jacobs de toute compagnie féminine, jusqu’à leur reprise en main par les « continuateurs » de l’œuvre du maître.

            L’envol de l’Espadon.

A partir de 1944, Jacobs est engagé par Hergé en tant que décoriste et coloriste pour divers albums de Tintin. Lorsque le maître de l’Ecole belge fonde le journal éponyme de son héros, en 1946, Jacobs fait naturellement partie de l’équipe. Cette même année, il lance sa propre série avec les premières aventures de Blake et Mortimer, qui vont bientôt envahir toute son existence.
Le Secret de l’Espadon pose d’emblée les bases de ce que seront les aventures de nos deux héros. D’abord des méchants aux ambitions démesurées, utilisant la science pour faire le mal : Basam Damdu, maître absolu de l’ « Empire jaune » (tapi au cœur du Tibet), et son homme de main, le « renégat » Olrik, se lancent à la conquête du Monde. Les Jaunes, par leur idéologie leurs uniformes et leurs armes, évoquent irrésistiblement les puissances fascistes et militaristes (Allemagne nazie et Japon) qui venaient d’être vaincues par les Alliés.
Face à eux, des héros au cœur pur, défenseurs de la civilisation occidentale, rempart de l’humanité tout entière : Blake et Mortimer, respectivement guerrier et cerveau de l’Empire britannique.
Ensuite, une intrigue solidement documentée, où les progrès scientifiques et techniques sont omniprésents, directement inspirés des dernières avancées de l’époque : l’arme atomique bien sûr, les avions à réaction, les fameuses « ailes volantes » (que l’US Air Force abandonna au début des années 1950, pour y revenir bien plus tard) et bien entendu l’Espadon, l’engin fabuleux mis au point par le professeur Mortimer, à la fois avion, fusée et sous-marin.
Enfin, l’importance des décors, le plus souvent exotiques en ce qui concerne cette histoire, dont l’essentiel de l’action se déroule aux confins de l’Iran, du Pakistan actuel et du Golfe Persique. Certains lieux ont visiblement fasciné l’auteur, qu’ils soient réels,  comme les falaises et rochers spectaculaires du Makran ; ou plus ou moins imaginaires, tel le dédale souterrain de la base secrète du Détroit d’Ormuz. Ce dernier endroit est en fait une transposition en plus vaste de la base britannique de Gibraltar et de son fameux rocher. La centrale nucléaire en plus !
Pour conclure, une fin éminemment positive : les méchants sont anéantis, à l’exception d’Olrik, ennemi récurrent et Mal nécessaire, et nos héros se chargent, sur fond de chantier de reconstruction de la ville de Londres, de la morale qui s’impose :
Mortimer : « Mon Dieu ! Que de ruines ! »
Blake : « Oui, vieux camarade, mais nous rebâtirons et, une fois encore, la civilisation aura eu le dernier mot ! Espérons que cette fois, ce sera pour de bon !!! » (dernière vignette de la dernière planche du Secret de l’Espadon.)
Cet album, coup d’essai et presque coup de maître, voit monter en puissance les qualités graphiques et scénaristiques de Jacobs, avec des temps forts qui ont marqué des générations de lecteurs par leur tension dramatique, et que l’on imagine aisément transposés au cinéma : l’insurrection de la ville de Turbat, le combat désespéré de Mortimer au sommet de la montagne pyramidale (admirables jeux de lumière avec les faisceaux de projecteurs, une constante de toute l’œuvre de Jacobs, visiblement marqué par son expérience théâtrale), le suspense précédant son évasion de sa prison de Karachi, la bataille du détroit d’Ormuz, etc…Mais on reste malgré tout dans un récit de guerre et d’espionnage assez classique, une « resucée » de la deuxième guerre mondiale et des poncifs du genre.
Il fallait de plus solides fondations à l’œuvre de Jacobs, et le récit suivant allait largement faire le poids.

            Un monument : le Mystère de la Grande Pyramide.

Cette fois, c’est en Egypte que l’auteur emmène ses héros et ses lecteurs, dans une  chasse au trésor qui préfigure bien des films du genre, tel Indiana Jones. La découverte de fragments de papyrus de l’historien antique Manéthon va leur permettre de retrouver la « chambre d’Horus », le tombeau d’Akhénaton, le pharaon monolâtre du culte d’Aton. Evidemment, Olrik est sur le coup, mais sera finalement puni par le Cheikh Abdel Razek, l’ « initié » gardien du sépulcre.
On a beaucoup écrit sur ce que certains considèrent comme LE chef d’œuvre d’Edgar Pierre Jacobs, à égalité avec la Marque jaune. Je ne prétends pas ici faire mieux ou très original, aussi me contenterai-je de quelques observations.
Sur la forme d’abord. Ce récit de 106 planches (dans son édition originale en album), contre 142 pour l’opus précédent, se caractérise  par de longs récitatifs et des phylactères envahissant presque totalement certaines vignettes. C’est le seul album de toute la série qui comporte une introduction illustrée de deux pages, signée de l’auteur, au contenu fort didactique. La clôture de ce texte révèle la passion de Jacobs pour l’art dramatique :
« La rideau va se lever ! Bonne lecture…et bon voyage ! L’histoire commence ! »
L’intention pédagogique se confirme quelques pages plus loin, avec une véritable visite guidée du Musée du Caire offerte à Mortimer –et au lecteur- par son conservateur, Ahmed Rassim Bey.
Quiconque aime la lecture ne saurait en être gêné, mais il y a de quoi largement rebuter les gamins d’aujourd’hui nourris aux mangas. Toutefois, la qualité des textes fait de cette BD un véritable « roman graphique » (bien avant la vulgarisation de cette expression), et pose ici définitivement le style du maître, avec une certaine emphase dans le propos comme dans la gestuelle des personnages. Le dessin quant à lui continue à progresser, sans atteindre à mon sens l’apogée que constitue La Marque jaune. Les effets de lumière, essentiels ici, sont absolument remarquables, et certaines vignettes sont d’une beauté sans précédent pour l’époque.
Sur le fond, l’intrigue est la fois très solide en matière historique, admirablement construite, et débouche sur une conclusion superbe, teintée de surnaturel.
Au final, un régal d’aventures archéologiques, dans le décor délicieusement suranné de l’Egypte du roi Farouk. Temps révolu et quasiment paradisiaque, quant on le compare avec  la situation présente de ce malheureux pays. Mais c’est dans les brumes londoniennes que Jacobs va atteindre le sommet de son art.



Une œuvre mythique : la Marque Jaune.

A l’approche de Noël 1952, Londres vit dans l’angoisse. Un personnage mystérieux, surnommé « la Marque jaune » à cause de l’étrange signature qu’il laisse derrière lui, commet une succession de délits spectaculaires, dont le vol des fameux «  joyaux de la Couronne »…shocking !
Chacun de ses méfaits est annoncé par ses soins dans la presse, à la façon d’un Arsène Lupin ou d’un Fantômas, et la police semble impuissante à l’arrêter. Mais pourquoi diable ce criminel, doté de pouvoirs apparemment surnaturels, décide-t-il d’enlever, l’un après l’autre, plusieurs membres du club auquel appartient justement le capitaine Blake ?
Ma première lecture de ce récit remonte à 1979, chez un de mes oncles résidant dans le Vaucluse. Je m’en souviens encore comme si c’était hier, tant cet album m’a captivé de bout en bout. Tout est parfait dans cet opus, pour quiconque n’est pas allergique à la « ligne claire ». Une intrigue magnifiquement montée (à un détail près, hélas, sur lequel je reviendrai dans la partie « bêtisier » de cet article), et une qualité de dessin que l’auteur ne surpassera plus jamais. Les vues de Londres sous la pluie, le brouillard, le dédale inquiétant des docks dans la nuit ou des égouts de la cité,  la chaleur rassurante des pubs, la classe toute victorienne du « Centaur Club »…Nous sommes dans une ambiance digne de « Jack l’éventreur » et de Sherlock Holmes. Non content de nous faire visiter les plus hauts lieux de Londres, de sa célèbre Tour jusqu’au 10 Downing Street en passant par Picadilly, Jacobs parsème plus que jamais ses dialogues d’expressions anglaises (une langue qu’il ne parlait pas vraiment), et achève de camper le caractère so british de ses héros. Ce n’est pas un hasard si la Marque jaune fait partie aujourd’hui des grands mythes de la BD, et l’un des plus parodiés.
           
L’Espadon, la Grande Pyramide et la Marque Jaune constituent le triptyque fondateur de l’univers jacobsien, dont le développement ultérieur ne sera, pour l’essentiel, qu’une série de variations sur les trois thèmes évoqués plus haut :
-merveilles et dangers de la science.
-voyage dans l’espace et dans le temps.
-la sagesse et la droiture contre la folie et le crime.
Ce dernier thème est porté par un trio sur lequel il est grand temps de nous pencher.

Blake, Mortimer, Olrik : un trio presque inséparable.

Pour le physique de ses trois personnages principaux, Jacobs n’est pas allé chercher bien loin.
Ce sont deux membres fondateurs de l’équipe du journal de Tintin qui vont lui inspirer le visage des héros éponymes de la série : le dessinateur Jacques Laudy pour Blake ; le rédacteur en chef du journal Jacques Van Melkebeke pour Mortimer. Olrik serait à rattacher à Henri Auguste Quittelier, premier époux de la seconde femme de Jacobs, avec lequel les relations furent des plus orageuses. Toutefois, le Maître prétendit un temps n'avoir eu d'autre modèle que lui-même pour incarner son "grand méchant".
La période jacobsienne ne contient quasiment aucune information sur le passé de ces personnages. Les deux héros sont déjà amis au début du Secret de l’Espadon, et connaissent aussi Olrik, qualifié de « renégat ». Pourquoi ce terme ? Pourquoi, par ailleurs, le même Olrik emploie-t-il souvent  la curieuse expression « mes maîtres » lorsqu’il s’adresse à Blake et Mortimer ? Ce dernier révèle juste, au détour d’une recherche aux archives du « Daily Mail » (cf La Marque jaune) qu’il était « aux Indes » en 1922. Et c’est tout !
Pour en savoir plus, il convient de lire Un opéra de papier, où Jacobs livre de précieuses indications biographique sur ses personnages, que les auteurs de la période post-jacobsienne vont pouvoir utiliser.
Francis Blake et Philip Mortimer font connaissance à Bombay, dans les années 1920. Ils sont alors étudiants, et profitent de leurs congés d’été pour retrouver leurs parents résidant en Inde. Tous deux issus d’un milieu aisé, partageant les mêmes valeurs morales, dont la défense de l’honneur et du bon droit, les deux jeunes gens voient ensuite leurs chemins se séparer. Ils ne se retrouvent qu’en 1944 pour former le tandem bien connu, qui finira par partager le même logement londonien au 99 bis, Park Lane, à la façon de Holmes et Watson au 221 bis Baker Street (Un couple qui a de toute évidence servi de modèle à Jacobs, aussi bien pour le physique de ses héros que pour la personnalité de leur ennemi éternel, Olrik/Moriarty).
Contrairement à ce que laisse penser le titre de la série, c’est Mortimer qui joue le rôle moteur dudit tandem. Il occupe le devant de la scène dans Le Mystère de la Grande Pyramide, et fait démarrer les intrigues de tous les autres albums de Jacobs à partir de L’énigme de l’Atlantide, à l’exception de l’Affaire du collier et de l’Affaire Francis Blake. L’album SOS Météores est carrément sous-titré Mortimer à Paris, ce qui est un rien abusif, car le savant disparaît de l’histoire à la page 23 pour ne ressurgir qu’à la page 49, laissant Blake résoudre l’affaire avec ses amis français. Mais c’est quand même le professeur, à la fin, qui fait exploser la machine infernale des méchants ! Dans le Piège diabolique, Mortimer est quasiment seul, Blake jouant les « utilités » au début et à la fin de l’album. Rebelote dans le tome 1 des Trois formules du Professeur Sato, où Blake est totalement absent.
A la limite, la série aurait pu s’intituler «  les exploits de Philip Mortimer ».
Philip Angus Mortimer : né vers 1909 dans les Indes britanniques, d’origine écossaise par sa mère, Mortimer est un être jovial, passionné de sciences et d’Histoire. Généreux et emporté, il a tendance à foncer tête baissée dans les pires ennuis, poussé par sa curiosité comme par de nobles sentiments. Il est  trapu, barbu, aux cheveux châtains tirant sur le roux. Fumeur de pipe et bon vivant, il ne crache jamais sur un bon repas et sait apprécier le whisky comme les grands vins (notamment le Pomerol 1947).
En rupture avec son père (médecin militaire) après un séjour tragique à Simla, en Inde, il fait ses études supérieures à l’université de Glasgow et se spécialise en physique nucléaire. S’ensuit un parcours brillant, passant par les Etats-Unis (Massachussetts Institute of Technology, puis Berkeley). Mortimer est recruté par le gouvernement britannique lorsqu’éclate la 2e Guerre mondiale. Il participe aux programmes de recherche militaire les plus avancés et les plus secrets, tels que « Ultra » (le décryptage des codes ennemis, au centre de Bletchley Park) ou les nouveaux modèles d’avions à réaction testés dans la base de Scaw-Fell, dissimulée au cœur des montagnes de Lake District.
Sa plus grande réussite est bien entendu la réalisation de l’Espadon, qui le rendra célèbre à tel point que la postérité finira par lui attribuer des inventions qui ne sont pas de lui, comme le « télécéphaloscope » de Jonathan Septimus ! (cf Le Piège diabolique, page 34)
On ne connaît que deux amours au respectable Philip Mortimer, qui se sont hélas mal terminées : la Princesse indienne Gita (les Sarcophages du 6e continent), et l’archéologue Sarah Summertown, de neuf ans plus âgée que lui (même récit que le précédent, et Le sanctuaire du Gondwana). Il est plus que probable que Mortimer soit le père de la fille unique de Sarah Summertown, mais celle-ci le lui a toujours caché.
Détail curieux, on ne connaît aucun frère ou sœur à Mortimer, alors qu’il est question, dans le Piège diabolique, d’arrières neveux ayant émigré sur Pluton. D’où sortent-ils donc ?
Francis Percy Blake : à peu près du même âge que Mortimer, Blake est aussi fils d’officier. Il a pour autre point commun avec son ami de ne pas être un « pur Anglais », étant originaire du Pays de Galles. Au physique comme au tempérament et dans les origines sociales, les deux hommes se distinguent. Blake est blond, grand et mince, avec une fine moustache. D’une nature plus flegmatique, il n’est pas dépourvu de romantisme et d’idéalisme, comme le prouve sa fondation, avec quelques amis de jeunesse, de la « Spirit Old Society », un club des admirateurs de Lawrence d’Arabie (cf Le Serment des cinq lords).  Il  vient d’un milieu nettement plus aristocratique que Mortimer, et s’engage dans  une carrière militaire conforme aux vœux de son père après des études de Sciences politiques.
Engagé dans la RAF comme pilote de chasse, il est recruté par le MI5. Mais sa première mission de terrain, en 1935, l’amène à participer malgré lui au meurtre –déguisé en accident- de son héros, Thomas Edward Lawrence. Dégoûté, Blake retourne avec plaisir à son métier de pilote lorsque débute la 2e guerre mondiale. Il s’y distingue particulièrement au printemps 1944, en testant pour la première fois en mission de combat le prototype d’un avion à réaction, le « Golden Rocket » (cf Le bâton de Plutarque). Ayant réussi à sauver le parlement britannique d’une attaque suicide allemande, il est remarqué par le colonel Benson, du MI6, qui le convainc de rejoindre ses services pour y remplacer son assistant décédé. C’est dans ces circonstances qu’il retrouve Philip Mortimer.
Après la mort de Benson, la veuve de l’officier offre aux deux amis d’être locataires à bon prix d’une partie de sa résidence londonienne, au 99 bis Park Lane. Elle deviendra la logeuse dévouée de nos héros, plus proche de la nounou que de la propriétaire acariâtre.
Champion du déguisement, maniant parfaitement un nombre impressionnant de langues étrangères, Blake est un agent secret digne de James Bond…sauf dans le domaine des conquêtes féminines, apparemment voisines de zéro. Tout au plus peut-on deviner une tendresse particulière de sa part pour sa collègue russe Nastassia Wardynska, infiltrée par le MI6 au sein du programme spatial soviétique à Baïkonour (la machination Voronov).

Olrik : Super-méchant de service, le « colonel » Olrik est le personnage le plus mystérieux du trio. Ses origines sont inconnues, probablement de quelque pays d’Europe centrale. Dans le Bâton de Plutarque, on apprend qu’il aurait servi dans l’armée hongroise, avant d’offrir ses talents aux services secrets britanniques. Tout en fourberie et en dissimulation, Olrik sert en fait dès 1944 le cruel et mégalomane empereur du Tibet, Basam Damdu.
Grand, cheveux noirs, nez aquilin, souvent vêtu avec classe (uniforme ou costume trois pièces), Olrik est l’archétype du « vilain » des récits d’aventures du milieu du XXe siècle. C’est aussi le roi du déguisement et des coups tordus, toujours prêt à trahir ses employeurs et ses complices. Olrik travaille rarement pour son propre compte, ce qui semble être le cas dans deux récits seulement (Le Mystère de la Grande Pyramide et l’Affaire du Collier). Il est le plus souvent au service d’une puissance étrangère hostile au monde libre (l’Empire jaune, l’URSS…) ou d’une vaste organisation criminelle de type mafieux, comme le « groupe Scorpio » (Les 3 formules du professeur Sato).
Tel Moriarty, Fantômas ou Monsieur Choc, Olrik est littéralement increvable. Il survit ainsi au bombardement nucléaire de Lhassa par l’escadrille d’Espadons de Francis Blake (Le secret de l’Espadon, tome 2), à une chute dans une crevasse et à l’engloutissement des restes de l’Atlantide (l’Enigme de l’Atlantide). Il est néanmoins censé disparaître pour de bon à la fin du tome 2 des Trois formules du Professeur Sato, dans l’explosion de son hélicoptère, après 27 ans de carrière au service du Mal. Du moins jusqu’à ce que les continuateurs de Jacobs en décident autrement !
Olrik n’est cependant pas invulnérable, loin s’en faut. Il est capturé à plusieurs reprises (pour s’évader rapidement, comme il se doit), mais sa principale punition lui est infligée dans trois récits successifs. A la fin du Mystère de la Grande Pyramide, le Cheikh Abdel Razek lui lance une terrible malédiction (« Que ton nom ne soit plus ! ») qui lui fait perdre la mémoire comme la raison. Le misérable s’enfonce ensuite dans le désert égyptien, l’air égaré.
On le retrouve dans la Marque jaune comme marionnette pitoyable du professeur Septimus, qui l’a baptisé « guinea pig » (« cobaye »). S’il parvient à se libérer de l’emprise de son maître, Olrik n’en a pas pour autant fini avec ses troubles mentaux, qui le rattrapent cruellement dans l’Onde Septimus. Mais il les surmonte magistralement et se paie même le luxe de sauver Londres d'une menace extra-terrestre !
Ces malheurs particuliers, ses échecs répétés et le côté retors du personnage, amené parfois à collaborer avec Blake et Mortimer (notamment à la fin du tome 2 des Sarcophages du 6e continent, ou Le Cri du Moloch), font d’Olrik un personnage assez attachant pour le lecteur. Il n’est jamais bêtement cruel, fait preuve de finesse et évite les meurtres gratuits. Il est de fait un élément essentiel de cette saga, la face sombre et nécessaire de l’univers créé par Jacobs.
Homme charismatique s’il en est, Olrik bat aussi des records de présence, à la limite du vraisemblable, dans les aventures des deux héros, qu’il affronte à chaque album, sauf trois : le Piège diabolique, le Serment des Cinq Lords et Le testament  de William S. Mais il avait dans tous les  cas une bonne excuse : le pauvre était en prison !
Pour finir, la vie amoureuse d’Olrik semble encore plus vide que celle de Blake, ce qui n’est pas peu dire. Il faut avouer à sa décharge que son agenda hyper-chargé de « génie du Mal » ne lui laisse guère le temps de compter fleurette ou de courir la gueuse.

            Principaux thèmes :

Merveilles et dangers de la Science
Pour Jacobs et ses successeurs, la Science ne constitue en rien une menace par elle-même. Elle n’est qu’un instrument au service de celui qui l’emploie, quelles que soient ses intentions.
L’arme nucléaire, par exemple, est LA solution qui permet aux gentils de l’emporter sur les méchants, dans Le Secret de l’Espadon ou Le Piège diabolique. Dans ces deux albums, Mortimer déploie ses talents d’ingénieur pour diriger ou retaper une centrale nucléaire, fabriquant des bombes atomiques de tout calibre. Mais tant qu’il s’agit de pulvériser les vilains, où est le problème ?
La civilisation atlante imaginée par Jacobs (L’Enigme de l’Atlantide), avec ses engins volants, ses rayons guérisseurs et ses appareils d’exploration interplanétaire, constitue un sommet en matière de « progrès », dans une vision idyllique et un peu kitsch du futur, tel qu’on l’imaginait dans les années 1950.
Mais dans le domaine de l’innovation scientifique, ce sont quand même les méchants qui l’emportent : le gaz mortel GX3 des Jaunes (le Secret de l’Espadon), le télécéphaloscope de Jonathan Septimus (La Marque Jaune), le réseau de machines à détraquer la météo et le chronoscaphe  de Georgevitch Miloch (SOS Météores, Le Piège diabolique)…
Le record étant battu par la dictature futuriste du « Guide Sublime » (Le Piège diabolique), avec ses disques espions, ses techniques de manipulation mentale, ses robots volants de combat, et surtout sa « Chose », une sorte de serpent de lave quasiment invulnérable.
 Nous pouvons également citer la bactérie mortelle (d’origine extra-terrestre) du docteur Voronov (La Machination Voronov), la machine à voyager dans le Temps et l’Espace du docteur Z’ong (L’étrange rendez-vous), la maîtrise de l’énergie électrostatique et magnétique de l’ « Empereur Açoka » qui permet entre autres à l’esprit de se jouer de la matière (Les Sarcophages du 6e continent)
A mi-chemin du Bien et du Mal, les robots multiformes du Professeur Sato (les Trois formules du Professeur Sato) sont l’illustration même du principe de « neutralité morale » de la Science évoqué plus haut. Ainsi le « Samourai » (terme japonais qui signifie « servir »), robot cerbère, participe-t-il autant à la capture de Mortimer qu’à sa libération. Il suffit d’utiliser le mot-clé qui convient !
Mais globalement, un certain pessimisme ressort de la saga. Les nouvelles technologies contribuent le plus souvent à la destruction de l’humanité (Le Piège diabolique, L’Etrange rendez-vous, Le Sanctuaire du Gondwana…), tout simplement trop immature pour gérer correctement ce que son cerveau peut produire, ou ce que la Nature met à sa disposition.
Le surnaturel : du peu, mais du lourd…voire du lourdingue.
            Nous entendons par « surnaturel » tout ce qui relève de l’inexplicable par la science humaine ou ce qui s’en rapproche. Sont donc exclus de ce champ, malgré leur étrangeté apparente qui confine au merveilleux :
-les raffinements de la civilisation atlante et le fameux « orichalque » (l’Enigme de l’Atlantide)
-le mystérieux « sanctuaire » d’une autre civilisation perdue, celle du Gondwana (Le Sanctuaire du Gondwana).
-les pouvoirs inquiétants de l’extra-terrestre dont l’engin est retrouvé enfoui dans le sous-sol de Londres (l’Onde Septimus et Le Cri du Moloch)
            Même si nous sommes aux frontières du vraisemblable, notamment avec les ptérodactyles, la forêt carnivore et la mer souterraine secouée de tempêtes de l’Enigme de l’Atlantide, tout ceci relève d’une forme de science-fiction.
Que nous reste-t-il ? Assez peu de choses en apparence, mais suffisamment significatives pour que l’on s’y arrête.
Citons d’abord le festival de magie orientale que nous offre Jacobs dans Le Mystère de la Grande Pyramide,  où le Cheikh Abdel Razek déploie des talents qui n’ont rien à voir avec la science telle que nous l’entendons. Il brûle d’un geste de la main la liasse de billets jetée avec mépris par Sharkey, donne à Mortimer un talisman qui lui permet de repousser un naja, fait apparaître et disparaître des crocodiles, hypnotise comme qui rigole Olrik et nos deux héros….Enfoncés, David Copperfield et autres Mesmer !
Restons en Orient, avec Sente et Juillard, pour goûter aux charmes de l’inexplicable. Cette fois, c’est la prétendue réincarnation de l’Empereur Açoka qui nous en met plein la vue à grands coups d’éclairs et de fumée colorée, de babouins géants et autres « tu m’as vu, tu m’vois plus ! » (les Sarcophages du 6e continent). Impressionnant, mais trop de poudre aux yeux finit par irriter.
Retenons ensuite un grand moment de mystique chrétienne à la sauce Indiana Jones et la dernière croisade, que nous devons à Jean Van Hamme. Les 49e et 50e planches de la Malédiction des Trente deniers (tome 2) contiennent en effet un beau morceau de bravoure, avec la réapparition de Judas et la foudre divine s’abattant sur l’affreux néonazi de service. Sublime…ou totalement ridicule ?
Même hésitation, pour finir, avec les planches 37 à 44 du tome 2 de La Vallée des Immortels, où les auteurs nous refons le coup du fantastique qui s'avère être un "rêve", mais pas tant que ça finalement.
Avec un peu de recul, le surnaturel évoqué ici apparaît surtout comme une facilité des auteurs pour faire avancer ou terminer une intrigue, planter un décor ou une ambiance. De ce point de vue, le Mystère de la Grande Pyramide l’emporte haut la main sur les autres tentatives de faire intervenir le surnaturel dans les aventures de Blake et Mortimer. Mais on peut préférer la simple suggestion fantastique si magnifiquement mise en scène de la Marque jaune, au grand déballage d’artifices dignes d’un spectacle de cabaret.    

            Voyages dans le temps et dans l’espace.
Les British Globe Trotters.
Contrairement à leur père, Blake et Mortimer ont passé beaucoup de temps hors de leur patrie. Les deux Britanniques sont les dignes continuateurs de Tintin, arpentant le globe sans relâche, même si l’on peut distinguer de nettes différences  en la matière entre la période jacobsienne et la suivante.
Avec Jacobs en effet, nos deux héros restent largement en Europe ou à proximité. Sur les 8 récits du père fondateur, deux ont pour cadre principal le Moyen-Orient (Golfe persique et Egypte), un le Royaume-Uni (Londres essentiellement), trois la France (Paris et sa région), un les Açores, domaine portugais, et le dernier le Japon, voyage de loin le plus exotique. Un exotisme auquel a visiblement succombé l’auteur, qui ne peut empêcher son érudition d’envahir le récit dans le tome 1 des 3 formules du Professeur Sato. Les « Ryus » (dragons légendaires), le théâtre Kabuki, la température du saké, les citations poétiques, tout y passe…au détriment parfois du rythme de l’histoire et d’une certaine vraisemblance.
L’ère post-jacobsienne envoie par contre le duo aux quatre coins du Monde : l’Union soviétique (Moscou, l'Oural), les Etats-Unis, la Belgique (Bruxelles, à l’occasion de l’exposition universelle de 1958), l’Inde, l’Afrique du sud (pour une courte escale), l’Antarctique, le Kenya, la Grèce et ses îles, le détroit de Gibraltar, Venise, la Chine, Berlin…Le Royaume-Uni n’est pas oublié, puisqu’il apparaît au moins neuf fois sur dix récits, parcouru en long et en large, des côtes de la Manche à l’Ecosse en passant par Liverpool. Les seuls espaces encore délaissés étant, à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’Amérique latine et l’Océanie.
Si l’on compile les deux périodes, et en comptant toutes les escales de nos héros (y compris celles qui ponctuent le voyage de Blake vers l’Egypte dans Le Mystère de la Grande pyramide), nous pouvons produire les statistiques suivantes sur la base de 32 lieux d’aventures comme base de calcul des pourcentages :
-l’Europe arrive en tête (59% du total), avec 22 apparitions, dont 12 pour le Royaume-Uni. La patrie de Jacobs, la Belgique, n’étant mentionnée que deux fois.
-L’Afrique du Nord et la Moyen-Orient arrivent en seconde position : 12,5%
-L’Asie du sud et de l’Est : 9,3%
-Afrique noire, Amérique du Nord, Açores et Antarctique : 6,25% chacun.
            L’obsession des souterrains.
A la suite d’une chute dans un puits lors de son enfance, Edgar Pierre Jacobs a nourri une fascination ambigüe pour les souterrains. Absolument tous ses récits en contiennent au moins un. Le record étant atteint dans L’Enigme de l’Atlantide, dont 54 planches sur 62 ont pour cadre les entrailles de la Terre. Domaine d’aventures et d’exploration, les souterrains de Jacobs sont également des lieux menaçants. Ils peuvent certes être des espaces de refuge, telle la base secrète du Ras Musandam (le Secret de l’Espadon) ou celle des rebelles en lutte contre le Guide Sublime (le Piège diabolique). Mais ce sont avant tout des endroits inquiétants plein de pièges : horribles bestioles, crevasses, labyrinthes (le dédale des catacombes dans l’Affaire du collier), voire prison…le Monde d’en-dessous est aussi un repaire idéal pour les méchants, qu’il s’agisse du sinistre mastaba du « doktor » Grossgrabenstein (grande pierre tombale, en français) dans la Grande Pyramide, du laboratoire du professeur Septimus (la Marque jaune), de la station météo de Miloch (SOS météores), de l’antre secrète de ce dernier sous le château de la Roche-Guyon (le Piège diabolique), du bunker d’Olrik sous la rue Mouffetard (l’Affaire du collier) et des installations du Professeur Sato récupérées par les bandits (Les 3 formules…).
Les successeurs de Jacobs ont repris cette tradition, même si l’on peut objecter que les cinq vignettes ayant pour décor une cave, dans le Serment des cinq lords (p.15) ne pèsent pas bien lourd.
           
Voyages dans le temps.
Féru d’Histoire, tout comme ses continuateurs, Jacobs n’a cessé de transporter ses personnages et ses lecteurs à travers les siècles. Sous les différentes formes que nous allons présenter ci-dessous, au moins 8 récits sur 17, soit près de la moitié, constituent des voyages dans le temps.
Néanmoins, seuls deux albums contiennent, à proprement parler, des voyages temporels à la façon inventée par Herbert George Wells à la fin du XIXe siècle.
Dans Le Piège diabolique, c’est l’affreux Miloch qui invente le « chronoscaphe » et en fait don par testament à son ennemi Mortimer. Il s’agit bien entendu d’une entourloupe, qui envoie le professeur à différentes époques dont il aura bien du mal à se dépêtrer :
-la préhistoire ou plus exactement l’ère du Crétacé, ce qui est l’idéal pour être assailli par tous les monstres possibles
-le Moyen-Age, en pleine « jacquerie » du milieu du XIVe siècle : c’est l’occasion pour Jacobs d’assouvir sa passion pour cette époque en quelques planches où s’accumulent les clichés des romans et films de chevalerie : le méchant seigneur, la douce princesse, les gueux barbares et superstitieux, traversée d’une salle en suspension à un lustre façon Errol Flynn dans Robin des bois, etc…
-le futur, en l’an 5060. Après un conflit nucléaire et bactériologique généralisé, l’humanité (ou ce qu’il en reste) est retombée dans la barbarie. Mais une nouvelle civilisation a fini par renaître, sous l’impulsion d’une poignée de scientifiques dirigés par le « Guide Sublime ». Il s’agit hélas d’une dictature totalitaire que combattent des rebelles mal dégrossis, eux-mêmes menés par quelques membres de l’élite du système ayant rompu avec ce régime. Avec l’aide de Mortimer, ces insoumis viendront à bout de leurs oppresseurs.
Cette histoire post-apocalyptique est conforme aux stéréotypes du genre, que la science-fiction des années de guerre froide a abondamment développés. C’est également la partie la plus intéressante de l’album, notamment lors des pérégrinations de Mortimer dans les souterrains de l’ancienne mégapole parisienne. Jacobs y révèle son pessimisme quant au devenir de la civilisation occidentale : déclin intellectuel (qui se manifeste par une orthographe simplifiée jusqu’au grotesque), militaire (invasion venue de l’Est) et finalement civilisationnel. Le passage au cours duquel Mortimer déclenche accidentellement un film de propagande en relief fait allusion de manière ironique aux discours sentencieux des dirigeants français lors de la débâcle de 1940 : « notre défense élastique », « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts »…(p.32)
La morale de l’Histoire, un peu convenue, tranche le débat lancé par deux inconnus discutant près de Mortimer au début de l’album sur les mérites comparés du passé et du futur. Finalement, et si « le bon temps » n’était autre que le présent ?
Il faut attendre l’Etrange rendez-vous, scénarisé par Van Hamme, pour retrouver une autre machine à voyager dans le temps. Les voyageurs, cette fois, viennent du futur, et plus précisément de 8061. Et ils ne sont pas beaux à voir : d’horribles mutants à la peau verte et pustuleuse, incapable de supporter la lumière du jour. C’est le résultat, là encore, d’une guerre nucléaire survenue au 21e siècle. Mais après des millénaires de régression, nos descendants ont réussi à « maîtriser la lumière », pour en tirer de l’énergie, puis la capacité de voyager dans le temps selon un principe einsteinien assez complexe. Sous la houlette du docteur Z’ong, un affreux nabot, ils ont entrepris de partir à la conquête de la Terre, du moins celle du milieu du 20e siècle. Pour ce faire, les mutants vindicatifs ont l’étrange idée d’aller « pêcher » dans le passé le dictateur tibétain Basam Damdû et son état-major, flanqué de l’inévitable Olrik. Auparavant, ils font quelques essais au hasard des époques pour capturer quelques spécimens, dont, incroyable coïncidence, un ancêtre de Mortimer, sous-officier britannique pendant la guerre d’Indépendance américaine !
C’est le retour mystérieux de ce dernier dans les années cinquante qui mettra nos héros en chasse, et fera échouer ce plan machiavélique.
Machiavélique, mais assez débile quand on l’analyse de plus près. Il s’agit en effet de voler des bombes à hydrogène aux Etats-Unis, puis de s’en servir pour soumettre par chantage les gouvernements du Monde entier. Il aurait été mille fois plus simple d’aller coloniser la Terre à l’époque des hommes préhistoriques, peu nombreux, mal armés et faciles à subjuguer par une poignée d’hommes équipés d’engins modernes. Sans parler des ressources naturelles encore intactes à la disposition des envahisseurs !
Au final, un album intéressant dans sa 1ere partie tant que plane le mystère, dans une ambiance à la « X-Files », mais qui tourne au grotesque dès que le pot aux roses est découvert. Dommage…
Une autre façon de voyager dans le temps consiste à découvrir un espace coupé du Monde, où ont été conservées des formes de vie et des civilisations que l’on croyait perdues. C’est le cas dans l’Enigme de l’Atlantide, où nos héros, à la façon des personnages de Jules Verne de Voyage au centre de la Terre vont non seulement découvrir les Atlantes, mais aussi des ptérodactyles, des végétaux préhistoriques et un royaume précolombien. On ne s’ennuie pas une seconde, mais une telle accumulation pèche par son invraisemblance. Pourquoi diable ces Atlantes si développés, avec pistolets à rayons et engins volants, n’ont-ils pas depuis longtemps éliminé ou soumis ces « barbares » qui leur pourrissent la vie aux confins de leur empire souterrain ? On sent ici que Jacobs s’est fait plaisir au détriment de la rigueur scénaristique.
Plus convaincants sont finalement les voyages dans le temps suggérés par les auteurs, soit par des récits illustrés (le plus magistral et passionnant étant délivré par le Cheikh Abdel Razek, à la fin du Mystère de la Grande Pyramide), soit par des « flashes back » ou les souvenirs de tel ou tel personnage. Nous parcourons ainsi l’immensité de l’Histoire, des lointaines origines de l’Humanité (le sanctuaire du Gondwana) au passé le plus récent, comme celui, parfois douloureux, de nos héros (Les Sarcophages du 6e continent, Le Serment des Cinq lords…)

Déguisement et fausses identités
            Le grand amateur de théâtre qu’était Jacobs adorait les costumes et les déguisements. Il aimait aussi prendre la pose devant un grand miroir, en tenue et arme au poing, afin de mieux saisir une posture ou un geste pour peaufiner ses dessins.
La fausse identité est aussi une constante de son œuvre, tant celle-ci peut constituer le ressort essentiel d’un bon « coup de théâtre ».
Les deux champions en la matière sont sans nul doute Blake et Olrik. Mortimer suit le mouvement, mais uniquement sous la pression d’une nécessité immédiate : on le voit ainsi en uniforme de tankiste jaune, puis en indigène baloutche dans le Secret de l’Espadon. Sa défroque ridicule de prêtre « barbare » précolombien lui pèse visiblement dans l’Enigme de l’Atlantide : « Devrons-nous encore longtemps faire ces pitreries ? » se plaint-il auprès du Prince Icare, pareillement costumé…avant de s’étaler magnifiquement sous les yeux des méchants et de perdre son masque (p.52). Frégoli, ce n’est pas lui ! La seule substitution d’identité vraiment réussie de Mortimer sera due au hasard et à la science (voir plus loin).
            Son ami Blake est autrement plus doué. Il le prouve dès le Secret de l’Espadon, où son déguisement de mendiant lui permet de s’approcher du lieu de détention de Mortimer à Karachi. Dans le récit suivant, le capitaine endosse les habits d’un autre indigène, égyptien celui-là, ouvrier sur le chantier de fouille de Grossgrabenstein. Mais Jacobs arrête là les exploits déguisés de Blake, qui ne reprennent que dans la période post-jacobsienne.
Dans l’Affaire Francis Blake, le capitaine ne se déguise pas vraiment, mais joue les agents doubles afin d’infiltrer l’organisation d’espionnage à laquelle appartient Olrik. Le festival des postiches et des fausses identités  reprend de plus belle dans La Machination Voronov, où Blake, en mission à Moscou, se fait passer pour l’assistant de Mortimer, puis pour un colonel soviétique afin de libérer la belle Nastasia Wardynska, détenue dans les geôles de la Loubianka. L’infâme Olrik, informé de la ruse par une trahison, rend un hommage appuyé à son adversaire : « Très fort, ce Blake ! Des faux papiers impeccables, un uniforme sans erreur et…quel talent de comédien ! » (p.24).
            Mais place maintenant au roi du déguisement : Olrik !
Le méchant, par définition, aime les coups tordus et les faux semblants. Le colonel le prouve dès le Secret de l’Espadon, où il s’infiltre dans un convoi de prisonniers des Jaunes sous la fausse identité d’un ingénieur atomiste, afin d’être libéré par les Britanniques et de rejoindre leur base secrète du détroit d’Ormuz. Là, il se livre à une autre substitution d’identité, prenant celle d’un agent de sécurité, ce qui lui permet de parcourir la base pour semer partout des charges explosives. Ceci donne lieu à une mémorable course-poursuite avec Blake, jusqu’au fond de la mer…
Rebelote dans le Secret de la Grande Pyramide, aux frais du « doktor Grossgrabenstein », égyptologue farfelu. Il se déguise à nouveau en guide portugais dans l’Enigme de l’Atlantide, en homme d’affaires suédois dans SOS météores, en ouvrier dans l’Affaire du collier…Cela se calme un peu dans les récits post-jacobsiens, à la notable exception du Sanctuaire du Gondwana, qui fait suite directe aux Sarcophages du 6e continent. On y apprend qu’à l’issue de ce dernier album, ce sont carrément les esprits d’Olrik et de Mortimer qui ont échangé leurs corps !
Cela donne lieu à une situation assez intéressante, quoique classique, une sorte de « Volte-face », la chirurgie esthétique et John Woo mis à part.

Contenu idéologique : d’un conservatisme prudent au «  politiquement correct ».
            Edgar Pierre Jacobs n’était pas un gauchiste, mais un libéral-conservateur bon teint. Toute forme de totalitarisme lui faisait horreur, ainsi que les révoltes incontrôlées, synonymes de barbarie.
Le fascisme n’était pas la tasse de thé de Jacobs : il le dénonce franchement, sous la forme de l’Empire jaune dans Le Secret de l’Espadon, de manière plus subtile dans L’Enigme de l’Atlantide, avec le complot de l’infâme Magon, dont les partisans arborent un brassard au « soleil noir » qui évoque irrésistiblement la symbolique nazie. Mais tirer sur ce genre d’idéologie, après la défaite de l’Axe, n’était pas franchement risqué.
Plus dangereux, du vivant de Jacobs, est de s’en prendre au « péril rouge », compte tenu du poids du parti communiste en Belgique et en France. L’auteur se contentera donc d’allusions transparentes, mais jamais nominatives, notamment dans SOS Mététores et Le Piège diabolique.
Sa méfiance envers les mouvements de foule transparaît surtout dans ce dernier album, qu’il s’agisse de la « Jacquerie » médiévale ou de l’attitude passablement stupide des « assujettis » de l’an 5060.
De toute évidence, une monarchie bonhomme, de préférence parlementaire, constitue le régime de choix de Jacobs, qui en fait l’apologie dans La Marque jaune, avec un vibrant « God save the Queen ! » (avant-dernière vignette). Le bienveillant Basileus régnant sur l’Atlantide, ou le sage Focas du Piège Diabolique, incarnent une société idéale ou le pouvoir revient de droit à ceux qui le méritent vraiment, par leurs compétences et leur noblesse de cœur. Le petit peuple des braves gens, tel que le chauffeur de taxi Ernest Buisson (SOS météores) ou le vaillant sergent Mac (Le Secret de l’Espadon, Le serment des cinq lords), bourru mais bon cœur, a toute sa place pour les tâches manuelles, mais sait aussi faire preuve de respect ou de dévouement pour les élites intellectuelles.
Les successeurs de Jacobs expriment quant à eux un « politiquement correct » en béton armé : exaltation du libéralisme et de la construction européenne, dénonciation du régime soviétique (La Machination Voronov) et du colonialisme (Les Sarcophages du 6e continent), sans oublier l’épouvantail fasciste (La Malédiction des Trente Deniers). Tout y passe, et sans beaucoup plus de courage que leur illustre prédécesseur, puisque les faits dénoncés sont périmés depuis des lustres ! Pour faire bon poids, il faut aussi ajouter des femmes (voir plus loin) et des représentants des « minorités visibles ».
Celles-ci n’étaient certes pas inexistantes dans les albums jacobsiens, mais paraissaient au départ réduites à des rôles mineurs, fleurant bon le colonialisme et un racisme paternaliste, tel le « brave Nasir » (voir la galerie de portraits) ou « le pauvre Abbas » (le Mystère de la Grande pyramide). On objectera que dès Le Mystère de la Grande Pyramide, Jacobs corrige le tir en mettant en scène un Arabe cultivé et plus cartésien que Mortimer, sous les traits du professeur Rassim Bey. Dans le même récit, le commissaire Kamal passe pour un flic borné, mais ni plus ni moins que son homologue britannique Kendall dans La Marque jaune. Jacobs lui-même, décolonisation oblige, fait disparaître le « fidèle Nasir » après cet album. Il faut attendre les 3 formules du Professeur Sato pour que des Non-Européens jouent un rôle significatif dans l’histoire, sans que l’on puisse déceler chez l’auteur autre chose qu’une grande fascination pour la culture japonaise.
Néanmoins, il est incontestable que les « méchants de service » ont presque tous le même type physique : nez en bec d’aigle, cheveux noirs, teint mat…cliché de l’époque sans doute, car ces traits méphistophéliques sont une constante des représentations judéo-chrétiennes. Mais nos modernes censeurs y verront sûrement une insupportable connotation antisémite.
Les successeurs de Jacobs vont tout faire pour échapper aux foudres de l’antiracisme militant : dès La Machination Voronov, Mortimer se voit flanqué d’un assistant d’origine maghrébine, Driss Alaoui, qui défend vaillamment le laboratoire de son patron contre l’infâme Olrik. Dans l’Etrange rendez-vous, c’est une Amérindienne, Jessie Wingo, qui vient remplir commodément la case « femme+minorité ». Les Indiens (d’Inde) occupent une place de choix dans Les Sarcophages du 6e continent, sans oublier un Congolais présent à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Nasir lui-même prend du galon : le sergent un peu rustaud de l’ex-armée des Indes est devenu lieutenant dans les services secrets de l’Union indienne, auquel nos deux héros donnent désormais du « vous ».
Mais il se trouva quand même des grincheux pour reprocher à Van Hamme d’avoir fait renaître Basam Damdu dans l’Etrange rendez-vous, et d’employer le mot « jaune » : bouh, le vilain raciste anti-asiatique ! Grave délit corrigé dans Le bâton de Plutarque, un « prequel » qui rend hommage au capitaine Hasso, agent tibétain au service des Britanniques infiltré dans l’état-major de l’armée jaune.

La place des femmes : de l’absence quasi-totale à une présence quelque peu artificielle.
Cherchez la femme ! Cette expression est à prendre au sens propre dans les albums de la période jacobsienne. De fait, aucune figure féminine marquante n’apparaît au cours des huit premiers récits de la série. Trois  femmes seulement arrivent à placer plus d’une réplique, et à figurer dans plus d’une vignette :
-deux « maîtresses de maison » : Mrs Benson, logeuse de nos héros dans La Marque jaune, et Catherine, domestique du professeur Labrousse dans SOS Météores)
-une princesse un peu nunuche à sauver (Damoiselle Agnès, dans Le Piège diabolique).
Un tel sexisme devenant intolérable à notre époque, les auteurs post-jacobsiens se sont empressés d’atteindre une sorte de parité. Les femmes arrivent en force à partir de l’Affaire Francis Blake, dans des rôles de plus en plus valorisants. Dans ce dernier album, le personnage de Virginia Campbell constitue un tournant. Agent dormant au service du Capitaine Blake, elle est la fois séduisante, intelligente et habile. C’est elle qui éclaire la lanterne d’un Mortimer passablement paumé, et lui permet d’accomplir ce que son ami attend de lui.
Désormais, il y aura au moins une femme importante dans presque tous les albums : 
-la gentille Nastasia et la perfide Miss Sneek dans La Machination Voronov
-Jessie Wingo, héroïque et efficace agent du FBI dans L’Etrange rendez-vous.
-La princesse Gita, figure centrale des deux tomes des Sarcophages.
-Mrs Summertown, qui fait une brève apparition dans le récit qui précède, revient en force, avec Nastasia, dans Le Sanctuaire du Gondwana. Son importance dans la vie sentimentale de Mortimer n’y a d’égale que sa capacité à faire avancer l’histoire.
-Eleni Philippidès, tout charmante qu’elle puisse être, gâche un peu ce replâtrage féministe dans La Malédiction des trente deniers. Plutôt peste avec son fiancé, elle se révèle assez gourde face aux épreuves, et va même trahir nos héros–sous contrainte il est vrai. Heureusement que Jessie reprend du service pour éviter à nos auteurs un procès en machisme !
-Elizabeth Mac Kenzie, fille de Sarah Summertown, seconde efficacement Mortimer dans Le testament de William S.
-Miss Ylang-Ti, agente des services secrets nationalistes chinois, dans La Vallée des Immortels, en fait autant avec Blake. 
-Olga Mandesltam, archéologue soviétique, donne un précieux coup de main à Mortimer dans Huit heures à Berlin, tandis que l'actrice est-allemande Krista Hagen en fait autant avec Blake. 
C’est en fait dans des rôles de « méchantes » ou de conspiratrices que les femmes prennent vraiment de la valeur au fil des albums suivants : Lisa Pantry (Le Serment des cinq lords), Lady Rowana ou Miss Lilly Sing (L’onde Septimus) ont un charisme que seule la Princesse Gita, avant elles, avait pu réellement montrer. A noter que les plus intéressantes d’entre elles ne basculent pas du côté obscur pour le seul appât du gain, mais du fait d’une passion, ou pour accomplir une vengeance. Un cas de figure classique venu tout droit de la tragédie grecque !
Seules exceptions, qui aurait pu valoir aux auteurs les foudres néo-féministes : 
-le Bâton de Plutarque ne contient guère de femmes intéressantes, et l’on ne saurait se contenter du personnage de Mrs Benson en veuve éplorée pour faire illusion !
-Le Cri du Moloch : fait réapparaître, pour des rôles très secondaires, Lilly Sing et Lady Rowana.
- Le Dernier Espadon : Marge Morrison, sergent-secrétaire au service de Blake, va glaner des renseignements en couchant auprès d'hommes plus jeunes qu'elle. Ce n'est pas très reluisant ! 


Un monde d’adultes, d’où les enfants et les animaux sont quasiment exclus.
            Si l’on compare cette série avec d’autres classiques de la BD franco-belge, c’est une évidence qui saute aux yeux : amis des enfants et des animaux, passez votre chemin ! Jacobs, profondément adulte, ne met pas un seul gamin en scène dans ses histoires, à la seule exception des deux petits braconniers médiévaux que Mortimer vient sauver dans Le Piège diabolique. Quant aux animaux, ils se divisent en deux catégories :
-les utilitaires, genre chevaux, mulets, etc…dont la seule vocation est de transporter nos héros.
-Les nuisibles, ayant pour tâche de pourrir la vie de Blake et Mortimer, et de pimenter leurs péripéties. La plupart sont des bêtes sauvages (notamment les serpents et les crocodiles du Mystère de la Grande Pyramide), auxquelles ont peut ajouter Eblis (ou Iblis, qui et l’un des noms de Satan), le dogue de Sadi, un homme de main d’Olrik (SOS météores).
Les successeurs de Jacobs ne vont pas changer grand-chose à tout cela, en tout cas pour les animaux. Ils vont néanmoins faire intervenir quelques gosses, porteurs malgré eux d’un virus mortel que leur a refilé l’infâme Voronov (La Machination Voronov).C’est aussi un petit berger grec –et son chien- qui met au jour la piste menant aux « trente deniers » de Judas (La malédiction des trente deniers). On ne saurait non plus négliger les récits de jeunesse des différents protagonistes, de Blake et Mortimer eux-mêmes aux enfants Lawless (Le serment des cinq lords), mettent en scène des enfants et adolescents à des moments décisifs de leur vie. Toutefois, il ne s’agit là que de mieux comprendre leurs actions ultérieures, et non de se complaire dans les portraits d’éternels gamins.

Et l’humour, là-dedans ?
            Les amateurs de gags et de grosses poilades ne sont pas gâtés non plus. Jacobs pratique un humour très distancié, plus flamand que britannique. Seuls trois exemples sautent aux yeux du lecteur :
-l’ombre portée d’Abdul, l’assistant du professeur Rassim Bey, auquel son bandage sur le crâne donne des oreilles d’âne (Le mystère de la Grande pyramide).
-l’hilarité que suscite chez les complices de Sharkey, acolyte d’Olrik, le signalement de celui-ci donné par la radio dans SOS météores. Ledit Sharkey, dont nous reparlerons plus loin, est en effet le seul personnage susceptible d’entraîner quelques effets comiques.
-dans le même album, le gaz employé par Miloch, qui se répand sur l’agglomération parisienne sous la forme d’une brume orangée, cause chez ceux qui le respirent une sorte de délire grotesque.
A la rigueur, on peut admettre que toute l’intrigue de l’Affaire du collier –qui ne fait guère de victimes, sauf pour une poignée de bandits- relève davantage de la comédie qu’autre chose, aussi bien dans son déroulement que dans sa chute. Mais c’est aussi, et de loin à mon sens, l’album le moins réussi du Maître.
La période post-jacobsienne apparaît encore plus sérieuse, la seule exception confirmant la règle pouvant être trouvée dans le combat final des 3 formules du professeur Sato, lorsque les méchants lâchent une horde de robots mal formés sur les forces de police japonaises. Le côté délirant de la scène avait d’ailleurs été prévu par Jacobs lui-même (et finalement dessiné par Bob de Moor), à l’instar des figures ectoplasmiques qui apparaissent à Mortimer dans le Piège diabolique.
En fait d’humour, les continuateurs de Jacobs ont plutôt multiplié les clins d’œil, à l’intention de lecteurs avertis : apparition de célébrités comme John Lennon dans un concert de patronage (la Machination Voronov), Gandhi (les Sarcophages du 6e continent), Winston Churchill (L’onde Septimus, le bâton de Plutarque) ou de diverses connaissances des auteurs dans tels ou tels rôles plus ou moins mineurs.
Plus subtiles et bien trouvées, les quelques vignettes du Sanctuaire du Gondwana (pages 19 et 20 de l’édition 2008) qui font référence à la célèbre intrusion de la Marque jaune au 99 bis Park Lane. Il en est de même dans Le testament de William S, où apparaissent le Capitaine Haddock (p.10) et le fétiche arumbaya de l'Oreille Cassée (p.24).

Quelques boulettes scénaristiques.
Il ne s’agit pas ici de traquer, comme le font les maniaques, l’absence ou la présence de tel ou tel bouton de col, mais de pointer les grosses bévues et invraisemblances historiques. Force est de constater que la rigueur de Jacobs et de ses disciples ne nous laisse guère de grain à moudre ! Il est pourtant possible de pointer trois énormités dans les albums suivants :
-La Marque jaune : le chef-d’œuvre de Jacobs contient en effet une aberration extraordinaire. On y apprend que « Guinea Pig », le cobaye de Septimus, a été récupéré par ce dernier au Soudan britannique dans l’entre-deux guerres. Le pauvre type n’est autre qu’Olrik, victime de la malédiction du Cheikh Abdel Razek à la fin de l’album précédent. Mais ce même album est censé se dérouler après la 2e Guerre mondiale (et même la 3e, si l’on compte celle des Jaunes). Pourquoi diable le Cheikh se serait-il amusé à l’envoyer dans le passé ? Ce qui pose d’ailleurs un étrange paradoxe spatio-temporel, puisque l’on se retrouve avec deux Olrik en même temps ! Car tandis que le fourbe colonel commençait sa carrière d’espion, son double –plus âgé- errait dans le désert avant de servir d’homme de main à un savant fou…une histoire de fous ! D’autant plus incroyable que personne jusqu’ici, à ma connaissance, n’a jugé bon de lever ce lièvre d’un poids considérable.
-L’Enigme de l’Atlantide : contient deux erreurs géographiques : l’une portant sur la topographie de l’île de Sao Miguel, dans les Açores, dont l’aérodrome (devenu depuis aéroport) n’est pas à Sant’Ana, mais à Ponta Delgada. Plus énorme, sur la carte présentée à nos héros par le Prince Icare, l’Amérique du Sud a pris la place de l’Amérique du Nord. L’auteur de ces lignes fut tellement choqué par cette erreur (horreur !) qu’il corrigea soigneusement la faute sur l’album.
-Le Bâton de Plutarque : Evidemment, les avions à réaction allemands et britanniques qui sillonnent le ciel de cette histoire n’étaient pas aussi perfectionnés en 1944, mais là n’est pas le problème. La grosse bourde historique surgit lorsque l’on voit des avions italiens aux cocardes fascistes en mission sur Gibraltar au printemps 1944. A cette date, le régime mussolinien n’existait plus que dans le nord de l’Italie (la République Sociale Italienne, dite de « Salo »), simple marionnette des Allemands, et ne disposait que de faibles moyens. Les Alliés, à cette date, contrôlaient largement la Méditerranée et ne redoutaient aucune attaque sur Gibraltar.
-La Vallée des Immortels, tome 2, planche 53 : l'Aile Rouge III pilotée par nos héros est censée semer des "chasseurs communistes", qui sont en fait, d'après la vignette, les avions du seigneur de la Guerre Xi-Li. Des avions (P51 Mustang) dont la présence même, en ces lieux et en de telles mains, est franchement invraisemblable.



Les bons et les méchants : un festival d’archétypes
            Comme pour les autres séries traitées dans les Monuments de la BD franco-belge, je ne mentionnerai ici que les personnages apparaissant dans plus d’un récit, et ce par ordre d’apparition.

Les bons :
-Zhang Hasso (Le Secret de l’Espadon, le Bâton de Plutarque)
            Linguiste tibétain ayant fui la dictature de Basam Damdu, Zhang Hasso fait une brève carrière d’agent double au bénéfice des Services secrets britanniques, bien qu’Olrik l’ait en apparence « retourné ». Promu capitaine dans l’armée jaune, Hasso est le 1er à prévenir l’Occident, via le capitaine Blake, de l’imminence de l’offensive ennemie. Ce geste lui vaudra d’être abattu par Olrik.
-Nasir (Le Secret de l’Espadon, Le Mystère de la Grande Pyramide, La Marque Jaune, Les sarcophages du 6e continent, L’Onde Septimus, La Vallée des Immortels, Le Dernier Espadon.)
            Ahmed Nasir est sergent au 5e bataillon du « Makran Levy Corps », une troupe supplétive de l’Empire britannique des Indes, lorsqu’il fait la connaissance de Blake et Mortimer. Il sauve ceux-ci d’une embuscade tendue par Olrik, et ne cessera par la suite de leur rendre service. Grand, barbe et cheveux noirs, teint mat, voix grave : Nasir incarne une certaine majesté orientale, un fier guerrier d’une fidélité à toute épreuve. Toujours coiffé de son turban, à la façon des Sikhs, Nasir est de confession musulmane. Il est aussi très bien renseigné, puisqu’il salue le capitaine Blake par son nom et son grade dès leur première rencontre, alors qu'ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant !
Ses relations avec Blake et Mortimer ont souvent donné matière à commentaire sur l’idéologie colonialiste. Si nos deux héros le vouvoient dans la première vignette qu’ils partagent, Blake passe au tutoiement dès que les présentations ont été faites. Nasir sera le subordonné de nos amis, devenant même le domestique et garde du corps du professeur Mortimer dans ses aventures égyptiennes et londoniennes. Le vaillant guerrier du Makran se transforme ainsi en Nestor de choc, entre 1946 et 1953. Cela ne devait guère lui convenir, puisqu’il quittera son « maître » après cela pour rejoindre les services secrets indiens et prendre du galon. Lorsqu’il retrouve nos héros, cinq ans plus tard à Bruxelles, c’est un lieutenant que l’on ne tutoie plus.
-L’inspecteur Glenn Kendall. (La Marque jaune, l’Affaire Francis Blake, la Machination Voronov)
            Kendall, de Scotland Yard, est l’archétype du flic dont la littérature et la BD classiques aiment à se moquer depuis la fin du XIXe siècle. Bourru et sans grande imagination, Glenn Kendall fait consciencieusement son travail, mais n’a rien d’un Sherlock Holmes, contrairement à sa réputation de « fin limier » vantée par Blake. Les « puissants » auxquels il a affaire (le Juge Calvin, le professeur Septimus) se gaussent volontiers de lui. Mais à la fin, c’est le brave inspecteur qui triomphe…grâce à nos héros, bien sûr !
-Le professeur Labrousse (SOS Météores, Les Sarcophages du 6e continent)
            C’est un peu l’alter ego français de Mortimer : barbu, appréciant la bonne chère, vivant chez une logeuse qui lui fait la cuisine (« un vrai cordon bleu », de l’avis de Mortimer). Directeur de la Météorologie Nationale, Labrousse est aussi un inventeur de génie : son « subglacior », un sous-marin capable de se faufiler à travers la banquise, évoque irrésistiblement le mini-sous-marin du professeur Tournesol dans le trésor de Rackham le rouge. Moins batailleur que Mortimer, Labrousse n’en est pas moins courageux, puisqu’il tient tête à un molosse à l’aide son parapluie, puis refuse de parler sous les coups d’une brute telle que Sharkey (voir plus loin)
-Le commissaire Pradier (SOS météores, l’Affaire du Collier, le Dernier Espadon)
            Version française de Kendall, en moins ridicule et surtout plus gradé, puisqu’il est commissaire divisionnaire à la DST. Son physique et certaines attitudes sont directement inspirés de Jean Gabin, ce qui donne un côté à la fois très authentique et délicieusement rétro aux aventures parisiennes de nos amis.
-David Honeychurch (l’Affaire Francis Blake, La Machination Voronov, le Serment des cinq lords, Le Dernier Espadon)
            Adjoint de Francis Blake, suffisamment fiable pour être impliqué dans certaines combines tordues, ce personnage ne brille pas pour autant par son charisme.
-Nastasia Wardynska (la Machination Voronov, le Sanctuaire du Gondwana)
            La belle blonde de service, mais également tête bien faite, puisqu’elle est aussi une brillante scientifique russe. C’est elle qui dénonce les projets criminels de Voronov, un nostalgique de Staline. Et c’est pour elle que Blake va prendre tous les risques afin de l’arracher aux sinistres geôles de la Loubianka.
-Jeronimo Ramirez (l’Etrange Rendez-vous, les Sarcophages du 6e continent)
            Scientifique excentrique, dont on ne sait trop s’il est génial ou timbré, Ramirez est un physicien nucléaire qui se découvre sur le tard une vocation pacifiste. Un personnage intéressant, mais insuffisamment fouillé et qui ne laisse pas un souvenir impérissable.
-Jessie Wingo (l’Etrange Rendez-vous, la Malédiction des trente deniers)
            Jolie brune souriante, portant des nattes pour faire comprendre au lecteur lambda qu’elle est d’origine amérindienne, Jessie Wingo est quasiment la femme parfaite : intelligente, courageuse, sportive et débrouillarde. Mortimer semble conquis. Mais fait-elle bien la cuisine ?
-Sarah Summertown (l’Etrange Rendez-vous, le Sanctuaire du Gondwana, le Testament de William S)
            Le premier vrai amour –consommé- de Philip Mortimer, qui a neuf ans de moins qu’elle. Cette brune pétillante, archéologue de profession, a mis d’elle-même un terme à leur liaison à cause de la jeunesse de notre héros au moment où se nouait leur idylle. Sente et Juillard laissent entendre qu’elle était en fait enceinte de notre ami, et qu’elle a préféré le quitter sans lui avouer son état, avant d’épouser un homme plus âgé. Sa fille Elizabeth est donc celle de Mortimer. C’est une Sarah grisonnante mais toujours dynamique qui accompagnera nos héros dans la brousse africaine, à la recherche d’une civilisation perdue, puis dans la recherche d'un précieux manuscrit shakespearien.

Les méchants :
-Basam Damdû (Le Secret de l’Espadon, l’Etrange Rendez-vous)
            « L’Empereur du Pic de l’Est », entre autres appellations ronflantes, est une sorte de Kim Il Sung mâtiné d’Adolf Hitler, sans toutefois véhiculer une idéologie bien précise. Ce dictateur mégalomane a pris le pouvoir au Tibet, dont il a fait une superpuissance militaire pour le lancer à la conquête du Monde. Le personnage est tellement déplaisant et caricatural qu’Olrik –qu’il suspecte à juste titre de comploter contre lui- apparaît par contraste infiniment sympathique. En principe pulvérisé par une bombe nucléaire dans son palais de Lhassa, le dictateur fou revient par miracle quelques années plus tard, par la grâce d’un scénario mal ficelé. Il disparaît à nouveau dans les brumes de l’espace-temps, ce qui peut laisser craindre (ou espérer) un « come-back » moins calamiteux dans une histoire à venir.
-Razul, le Bezendjas (Le Secret de l’Espadon, Le mystère de la Grande Pyramide, le Sanctuaire du Gondwana, Le Dernier Espadon)
            Originaire de la même région que Nasir (les confins du Pakistan et de l’Iran), mais d’une autre tribu, Razul (que l’on ne surnommera plus que le « Bezendjas », du nom de sa tribu de mauvaise réputation), est à Olrik ce que Nasir est à Blake et Mortimer, version sombre. Plutôt veule, mais habile et fidèle à son maître, Razul lui sauve la vie et le suivra après la 3e guerre mondiale dans sa carrière de bandit. Il est cependant lâché par Olrik en Egypte, qui le retrouvera quelques années plus tard en Afrique orientale. Les retrouvailles ne sont pas franchement chaleureuses, mais le Bezendjas rempile quand même à ses côté…ce qui ne lui portera pas bonheur.
-Sharkey (presque tous les albums de Jacobs à partir du Mystère de la Grande Pyramide, sauf l’Enigme de l’Atlantide)
            Inspiré au physique par l’acteur américain James Cagney, spécialisé dans les rôles de brute des films noirs, Sharkey est effectivement aussi brutal et stupide que son apparence de gorille le laisse croire. Il est l’homme de main idéal d’Olrik, plus par son dévouement que par son intelligence. Le génie du Mal n’a d’ailleurs aucun scrupule à le laisser choir lorsque la situation l’exige, mais ce crétin doit avoir une bonne étoile qui veille sur lui, car il parvient toujours à s’évader pour reprendre du service. Contrairement à Razul, il n’en veut jamais au « patron ».
-Youssef (Le Mystère de la Grande Pyramide, le Sanctuaire du Gondwana)
            Antiquaire et escroc cairote, Youssef tient une boutique miteuse dans laquelle il tentera de piéger Mortimer. Cauteleux et vicieux, il s’échappera de prison comme le Bezendjas et reviendra prêter main forte à Olrik.
-Jack (Le Mystère de la Grande Pyramide, l’Affaire Francis Blake, la Malédiction des trente deniers)
            Qualifié de « grenouille » par Blake lors de leur 1ere rencontre, à cause de ses grosses lunettes, Jack n’est effectivement pas gâté par son physique : cheveux blonds filasses que l’on devine gras, visage empâté, yeux globuleux et sourire sadique. Il préfigure nettement le répugnant gestapiste qui apparaîtra trente ans plus tard dans le 1er opus d’Indiana Jones. C’est également un sous-fifre d’Olrik, peu rancunier et abonné à la case prison en fin d’album.
-Jonathan Septimus (La Marque jaune, l’Onde Septimus)
            Archétype du savant fou, vaniteux et obsédé par son génie, Jonathan Septimus est l’inventeur de l’Onde Méga, qui lui permet de contrôler à distance un être humain et de le doter de pouvoirs extraordinaire. C’est incontestablement, après Olrik, le « grand méchant » le plus réussi de la série. Jacobs a parfaitement rendu ses mimiques, ses sautes d’humeur et son humanité : Septimus, au fond, n’est devenu mauvais que par l’incompréhension et l’intolérance de ses semblables. Son action vengeresse, si elle n’est pas justifiable, se comprend néanmoins et échappe à la médiocrité du criminel ordinaire. Désintégré par l’une de ses machines, Septimus revient sous la forme d’un clone émis par une entité extraterrestre. Idée amusante, mais la copie ne vaut pas l’original.
-Georgevitch Miloch (SOS Météores, le Piège diabolique)
            Le deuxième savant fou de la saga, mais nettement moins frappé que Septimus. Sosie de l’écrivain américain Arthur Miller, Miloch travaille pour une mystérieuse puissance hostile qui ressemble furieusement à l’URSS. C’est lui qui dirige la station secrète située près de Paris, dont les appareils détraquent le temps afin de favoriser une invasion de l’Europe occidentale. Laissé pour mort dans sa base en flammes, ce triste sire veut ensuite prendre sa revanche en léguant à Mortimer une machine à remonter le temps sabotée. Le génial inventeur du « chronoscaphe » mourra d’un cancer causé par les radiations de ses engins de mort.
-Le major Varitch (la Machination Voronov, Les Sarcophages du 6e continent)
            Le plus insignifiant des sous-fifres. Cet officier soviétique sans scrupules, après avoir conspiré avec l’affreux Voronov, se met au service d’Açoka, guignol déjanté mais scientifiquement en pointe. Il joue certes un rôle essentiel dans les plans de ce dernier, mais le personnage reste des plus fades. Il se fait tuer en affrontant Blake.

Conclusion provisoire :
            Provisoire en effet, car l’exploitation du filon « Blake et Mortimer » par une cohorte d’auteurs talentueux laisse à penser que la saga est loin d’être terminée. Contrairement à ce que j’ai pu écrire sur Alix ou Buck Danny, cette perspective ne me désole pas. Les continuateurs de Jacobs, s’ils n’ont pu surpasser le maître, ne sont pas à mon sens indignes de lui, comme le prouvent les notes attribuées plus loin aux récits parus à ce jour (soit décembre 2022), qui ne sont pas déshonorantes. Ils ont su respecter son œuvre tout en l’enrichissant. Néanmoins, leur marge de manœuvre est de plus en plus réduite, à mesure que se comblent les vides de la période 1944-1971. On peut se prendre à imaginer ce que donnerait une poursuite de la série dans les années 1970, avec des Blake et Mortimer vieillissants face à un monde qui leur serait de plus en plus étranger.
Mais comme ils diraient eux-mêmes : « Wait and see ! »



Notation subjective des récits :  
-Le Secret de l’Espadon : 8/10.
-Le Mystère de la Grande Pyramide : 9/10.
-La Marque jaune : 10/10.
-L’Enigme de l’Atlantide : 9/10.
-SOS météores : 9/10.
-Le Piège diabolique : 9/10.
-L’Affaire du collier : 6/10.
-Les 3 formules du professeur Sato : 7/10.
-L’affaire Francis Blake : 6/10.
-La Machination Voronov : 6/10.
-L’Etrange Rendez-vous : 6/10.
-Les Sarcophages du 6e continent : 6/10.
-Le Sanctuaire du Gondwana : 7/10.
-La malédiction des trente deniers : 6/10.
-Le serment des cinq lords : 8/10.
-L’onde Septimus : 7/10.
-Le bâton de Plutarque : 8/10.
-Le Testament de William S: 5/10.
-La Vallée des Immortels : 6/10
-Le Cri du Moloch : 7/10
-Le Dernier Espadon : 6/10
-Huit heures à Berlin : 8/10


Test : connaissez-vous vraiment « Blake et Mortimer » ?
1)      Dans le Secret de l’Espadon, quel est le cri de guerre des pilotes jaunes ?
a)      A l’assaut !
b)      A Lhassa !
c)      Sah ! 

2)      Dans le même récit, comment s’appelle le scientifique jaune chargé de surveiller Mortimer, pendant la détention de celui-ci à Karachi ?
a)      Le Docteur Fo
b)      Le Docteur Fa
c)      Le Docteur Fi

3)      Dans le Mystère de la Grande Pyramide, quelle formule magique est censée protéger Mortimer de certains dangers ?
a)      Par Osiris, va-t’en !
b)      Par Horus, demeure !
c)      Par Isis, couché !

4)      Dans le même récit, quelle véhicule met Mortimer sur la piste des bandits ?
a)      Une Renault verte
b)      Une Ford jaune
c)      Une Lincoln noire

5)      Dans La Marque jaune, de quel pouvoir le « monstre » ne dispose-t-il pas ?
a)      Il peut voir dans l’obscurité.
b)      Il peut balancer des décharges électriques.
c)      Il peut faire fondre les métaux rien qu’en les regardant.

6)      Dans le même récit, de nombreux membres d’une même profession sont enlevés vers la fin de l’histoire pour servir de témoins au savant fou. Ce sont tous des :
a)      Biologistes
b)      Médecins
c)      Huissiers de justice.

7)      Dans l’Enigme de l’Atlantide, comment s’appelle le chef des barbares ?
a)      Xolotl
b)      Huascar
c)      Tlalac

8)      Dans SOS météores, comment fait-on pour détruire la base des méchants ?
a)      Il suffit d’appuyer sur un gros bouton noir qui fait tout péter
b)      Il faut programmer l’ordinateur central en mode « autodestruction »
c)      Il faut balancer une bonne dose de dynamite dans les bouches d’aération du système de ventilation.

9)      Dans le Piège diabolique, quelle couleur le voyant principal des instruments du chronoscaphe doit-il afficher pour indiquer l’arrivée de l’engin dans le « présent » ?
a)      Le rouge
b)      Le noir
c)      Le blanc
10)  Dans L’Affaire du collier, comment Olrik fait-il avouer au joaillier Duranton l’endroit où il a planqué le collier ?
a)      Il le fait tabasser par Sharkey.
b)      Il menace de le noyer au fond d’une cuve.
c)      Il le fait pendre par les pieds au-dessus d’un gouffre.

11)  Dans Les 3 formules du Professeur Sato, dans quel célèbre hôtel de Tokyo nos héros descendent-ils ?
a)      Le « New Otani »
b)      Le « New Otomi »
c)      Le « New Osato »

12)  Dans l’Affaire Francis Blake, le chef des méchants a une particularité physique, laquelle ?
a)      Il est borgne.
b)      Il est unijambiste.
c)      Il a six doigts à une main.

13)  Dans la Machination Voronov, d’où vient le virus tueur ?
a)      De l’espace interplanétaire.
b)      D’Afrique équatoriale.
c)      Des éprouvettes de Voronov.

14)  Dans L’Etrange Rendez-vous, comment les hommes du futur se camouflent-ils ?
a)   Ils ne sortent que la nuit.
b)   Ils portent des masques qui imitent la peau humaine.
c)  Ils disposent d’une machine qui les rend temporairement invisibles.

15)   Dans Les Sarcophages du 6e continent, comment Açoka compte-t-il menacer l’Occident ?
a)   En perturbant les flux électriques et les communications.
b) En lâchant des missiles nucléaires depuis sa base de l’Antarctique.
c) En inondant les salles de cinéma de films « bollywoodiens ».

16)  Dans le sanctuaire du Gondwana, où se situe l’entrée secrète dudit sanctuaire ?
a)      Dans le sous-sol du Parc Kruger, en Afrique du Sud.
b)      Dans le cratère du Kilimandjaro.
c)      Sous les eaux d’un lac de la réserve du Ngorongoro.

17)  Dans La Malédiction des Trente deniers, quel épisode de l’Histoire grecque contemporaine est évoqué à la fin du récit ?
a)      La crise financière de 2008.
b)      Le coup d’Etat des colonels en 1967
c)      Les jeux olympiques d’Athènes en 2004.

18)  Dans le serment des cinq lords, comment s’appelle le musée où sont commis les premiers méfaits des criminels ?
a)      Le British Museum
b)      Le Metropolitan Museum
c)      L’Ashmolean Museum

19)  Dans l’Onde Septimus,, quel cri poussent les malheureux rendus fous par leur contact avec l’entité venue d’ailleurs ?
a)      Asile !
b)      Agha !
c)      Areuh !

20)  Dans le bâton de Plutarque, on découvre le prototype d’un avion que nos héros utiliseront dans  le Secret de l’Espadon. Comment s’appellera cet avion ?
a)      Ben, l’Espadon, tiens, oh...trop facile la question !
b)      Le Silver Flame.
c)      Le Golden Rocket.


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